Dans le cadre de la saga judiciaire de Resort Investors International (ci-après, « Resort »), les requérants demandent l'autorisation de poursuivre le syndic intimé sous l'article 215 Loi sur la faillite et l'insolvabilité (« L.F.I. ») dans le cadre d'une demande en dommages et intérêts.

L'acteur principal est Rhéal Dallaire, administrateur de la société numérique 6918824 Canada inc., elle-même détenue en propriété exclusive par la fiducie familiale Rhéal Dallaire et sa conjointe Josée Quirion, laquelle est actionnaire à 100% de Resort et de ses actifs.

Deux groupes sont en conflit quant à la propriété de Resort, soit d'une part Les demandeurs, Nader Dormani, Mehdi Razi et leur société Parscom Entreprises inc. (ci-après, « Parscom ») et, d'autre part, Pierre Heafey, Samir Chowieri et Rhéal Dallaire (ci-après, « Heafey »).

Les faits

Resort fait défaut de paiement auprès de son créancier hypothécaire de premier rang qui rappelle les prêts et demande le remboursement des avances.

En difficulté financière, Rhéal Dallaire approche Dormani. En mars 2008, une entente intervient entre les parties et Parscom avance 5 millions $ en retour de quoi les parties signent une entente de partenariat à 51% pour Parscom et à 49% pour Dallaire. Une convention de subrogation de la banque est aussi signée laquelle inclut les hypothèques grevant en premier rang les actifs immobiliers de Resort.

Malgré cette entente, Rhéal Dallaire s'associe par la suite avec le groupe Heafey qui offre de rembourser le groupe Parscom en plus des intérêts. Le groupe Parscom refuse toutefois d'être écarté de la sorte et s'ensuit une multitude de procédures judiciaires.

En mai 2008, un jugement interlocutoire est rendu et un séquestre judiciaire est nommé pour gérer et conserver les actifs jusqu'à ce qu'un jugement final intervienne. Le juge suspend le pouvoir des administrateurs et précise que Rhéal Dallaire n'est plus propriétaire des actifs.

En dépit de l'ordonnance, Rhéal Dallaire effectue un changement de siège social et dépose une cession volontaire de Resort le 27 juin 2008 dans le district judiciaire de Montréal. Le séquestre officiel de la division de Montréal émet un certificat de nomination du syndic aux actifs de Resort. Le groupe Parscom s'oppose à la cession et présente une requête en annulation d'une cession volontaire laquelle est rejetée en juin 2008.

Le groupe Parscom entreprend alors des procédures en annulation de faillite. S'ensuivent plusieurs jugements dans lesquels le Tribunal souligne d'une manière éloquente plusieurs irrégularités et utilisations inappropriées du processus de faillite.

Le 5 décembre 2008, le Tribunal ordonne un nouvel appel d'offres dont il établit les règles et devant être dirigé par le syndic visé par la demande d'autorisation de poursuivre.

Le 9 décembre 2008, le groupe Heafey soumet une offre et Dormani se disant témoin d'anomalies dans le processus d'offres, laisse une note dans une enveloppe cachetée à l'attention du syndic dénonçant l'intégrité du processus.

Le 10 décembre 2008, une audience a lieu devant le juge Riordan quant à l'autorisation de vendre au groupe Heafey, seul soumissionnaire.

Le 12 décembre 2008, le groupe Parscom présente devant la Cour d'appel une requête en suspension d'exécution provisoire du jugement prononcé le 5 décembre 2008. La Cour d'appel confirme les observations du juge Riordan en ces termes :

[6]  [...] [le juge] avait pleinement connaissance des faits et a tiré des conclusions factuelles qui ne laissent aucun doute: il était conscient des agissements des deux intimés mis en cause, et même du syndic, et a voulu rétablir l'équilibre entre toutes les parties. [...]

[9]  Par ailleurs, les requérants ne sont pas sans recours. Ils ont déjà institué des procédures en dommages et intérêts sur la base d'incidents qui ont débuté bien avant la faillite et, comme le souligne le juge de première instance, cette poursuite permettra vraisemblablement de trancher le litige qui porte sur le comportement de Rhéal Dallaire.1

Le 22 juin 2011, le groupe Parscom amende sa procédure en dommages et intérêt initialement intentée en novembre 2008 pour y inclure le syndic à titre de défendeur. Il y est notamment réclamé une perte de profits 54 millions de dollars.

C'est donc à la suite de cet amendement que la requête en vue d'être autorisée à poursuivre est déposée.

Le droit

L'article 215 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité énonce :

215. Sauf avec la permission du Tribunal, aucune action n'est recevable contre le surintendant, un séquestre officiel, un séquestre intérimaire ou un syndic relativement à tout rapport fait ou toute mesure prise conformément à la présente loi.

Les critères d'application établis par la jurisprudence pour que le recours soit autorisé en vertu de l'article 215 sont les suivants2 :

  1. La permission de poursuivre un syndic ne devrait pas être accordée si l'action est frivole ou vexatoire. Des actions manifestement non fondées ne devraient pas être autorisées.
  2. Il ne faudrait pas permettre la poursuite d'une instance si la preuve soumise à l'appui de la requête, y compris la version préliminaire de la déclaration envisagée, ne révèle pas de cause d'action opposable au syndic. La preuve, qui est habituellement présentée par affidavit, doit faire état des faits allégués à l'appui des conclusions recherchées.
  3. Le Tribunal n'a pas à se prononcer sur le bien-fondé de l'action avant d'accorder la permission demandée.

Au stade de l'autorisation de poursuivre, la preuve est prima facie et le Tribunal doit trancher la question au fond. Dans le cadre de son analyse, le Tribunal prend en considération les éléments de preuve suivants :

  1. les allégations de la requête pour autorisation;
  2. les affidavits au soutien de celle-ci;
  3. la requête introductive principale;
  4. les pièces; et
  5. les jugements antérieurs.

Analyse

Au soutient de sa requête en autorisation de poursuivre, le groupe Parscom allègue des inconduites et des fautes déontologiques du syndic dans la poursuite d'un but commun avec le groupe Heafey, soit écarter le groupe Parscom de l'entente intervenue le 14 mars 2008.

Les requérants allèguent que le syndic a agi de concert avec le groupe Heafey en commettant des gestes ou ayant connaissance de faits de la mise en faillite de Resort.

Il est premièrement allégué que le syndic aurait eu des rencontres et des discussions préliminaires avec le groupe Heafey dans le but de préparer le dossier de la mise en faillite de Resort, ce qui est corroboré par les courriels échangés avant la mise en faillite et la déclaration de Dallaire. Le Tribunal note aussi que le dossier de faillite est ouvert dans le district de Montréal et que le changement de l'adresse du siège social de Resort a été fait le matin du 27 juin 2008 dans les heures précédant le dépôt de la cession de Resort.

Il est deuxièmement allégué que le syndic aurait suggéré à Dallaire de gonfler le passif en obtenant des anciens propriétaires du Château Cartier une cession d'un dû à l'actionnaire d'une valeur de plus de 7 millions de dollars et d'obtenir un document confirmant la cession de la créance bien que cette créance n'était pas la propriété de Rhéal Dallaire. Cette cession de créances est faite de façon concomitante à la faillite telle que confirmée par un document daté du 7 février 2008, soit avant la signature de l'entente de mars 2008 afin que cette cession ne soit pas opposable aux requérants.

Il est troisièmement allégué que le syndic aurait suggéré de faire publier une hypothèque mobilière de 275 000 $ sur les équipements et actifs mobiliers du Château Cartier, ce qui a été fait par Dallaire.

Il est quatrièmement allégué que, à la suite de la faillite, l'intimé était partie prenante et participait activement avec le groupe Heafey à la préparation des stratégies pour exclure le groupe Parscom, entre autres, en rejetant ses réclamations sans toutefois examiner les réclamations provenant du groupe Heafey.

Il est cinquièmement allégué que tout au long de la contestation de la mise en faillite de Resort et du processus de mise en vente des actifs de Resort, le syndic a participé activement avec le groupe Heafey à la préparation des offres déposées à différentes étapes dans le processus judiciaire ayant finalement mené à l'achat des actifs de Resort par une entreprise contrôlée par le groupe Heafey.

Finalement, les requérants allèguent que le syndic a engagé sa responsabilité vis-à-vis eux et qu'il doit être condamné solidairement à payer tous les dommages qu'ils ont subis puisqu'aucun défendeur n'aurait été en mesure de réaliser ce plan sans la participation et l'implication du syndic.

Selon le Tribunal, la mise en faillite fondée sur des faits que le syndic sait être faux, en participant ou ayant connaissance de manSuvre frauduleuse, en favorisant une partie plutôt qu'une autre dans le but d'exclure une autre est un comportement fautif et enclenche le processus de la responsabilité civile.

À cet effet, le Tribunal cite l'auteur Baudoin :

« À notre avis, le principe énoncé par la Cour suprême dans l'arrêt Morin c. Blais, voulant que la violation d'une règle législative énonçant une norme élémentaire de prudence, constitue, en principe, une faute civile, peut être appliquée à la responsabilité professionnelle. »3

De surcroît, le Tribunal note que, selon les allégués de la requête, le syndic aurait entrepris de nombreuses manSuvres pour tenir le groupe Parscom à l'écart, ce qui pourrait équivaloir à une faute intentionnelle. Le Tribunal cite à nouveau les propos de l'auteur Baudoin quant à l'impact de l'intensité de la faute sur le lien de causalité :

« -620- Intensité de la faute - On remarque en troisième lieu, que la nature et l'intensité de la faute ont une influence certaine sur le tribunal. Si la faute est lourde ou intentionnelle, les tribunaux s'embarrassent peu de la recherche du lien de causalité. [...] »4

Sur la base de la requête pour autorisation de poursuivre, l'affidavit détaillé de Dormani au soutien de ladite requête, les courriels et les déclarations de Rhéal Dallaire, ainsi que les jugements antérieurement prononcés, le Tribunal considère que suffisamment d'éléments ont été soumis afin de conclure qu'il ne s'agit pas d'une action frivole ou vexatoire ou dépourvue de tout fondement et autorise les requérants à poursuivre le syndic.

Resort Investors International, u.l.c. (Syndic de), C.S, 550-11-011642-098, jugement du 22 mars 2013, Juge Suzanne Tessier.

Footnotes

1 - 2008 QCCA 2470

2  - Mancini (Trustee of) c. Falcon reflex, (1993), 61 O.A.C.332 (CA), p.3. ; GMAC c. T.C.T.Logistics inc., [2006] 2 RCS 123, par 57 ; Brochu c. Canada (procureur général), 2007 QCCA 929.

3 - Jean-Louis BEAUDOIN, La responsabilité civile, vol.2, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p.2.

4 - Id., p.623-624.

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