L'entrée en vigueur du Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (le « Règlement ») le 1er janvier 2020, a grandement perturbé le milieu du placement de personnel au Québec.

Le Règlement d'application de la Loi sur les normes du travail (la « LNT »)venait notamment clarifier l'application de cette loi aux agences de placement de personnel québécoises et également leur imposer de nouvelles obligations. Entre autres, le Règlement, à son article 23, prévoit qu'il est interdit pour une agence de placement de personnel de « prendre des mesures ou convenir de dispositions ayant pour effet, au-delà d'une période de 6 mois suivant le début de l'affectation d'un salarié auprès d'une entreprise cliente, d'empêcher ou de restreindre son embauche par celle-ci ». Il y a lieu de noter que la législation applicable à certaines provinces canadiennes comporte des restrictions relativement similaires3. Par ailleurs, le gouvernement fédéral a introduit des dispositions similaires au Code canadien du travail4, par le biais du projet de loi C-865, lesquelles ne sont pas encore en vigueur à ce jour.

La disposition issue du Règlement québécois a été fortement critiquée pour son manque de clarté dès l'entrée en vigueur du Règlement. Or, une décision récente du Tribunal administratif du travail vient établir qu'une clause claire visant à imposer des frais à un employé advenant son embauche par une entreprise cliente contrevient au Règlement, et qu'un congédiement concomitant à une revendication relative à l'illégalité d'une telle clause constitue une mesure de représailles au sens de la LNT.

Faits

L'employeur, une entreprise active dans le milieu de la construction qui détient un permis d'agence de placement de personnel, embauche le plaignant le 8 avril 2021. Au terme du contrat de travail unissant l'employeur et le plaignant, il est prévu que si ce dernier souhaite être embauché par une entreprise cliente dans les douze (12) premiers mois suivant la dernière entrevue ou visite chez des clients auxquels il a été référé par l'employeur, le plaignant doit obtenir le consentement écrit de l'employeur ou verser dix mille dollars ($10 000,00) à l'employeur pour non-respect du contrat de travail.

Dans les jours suivant l'embauche du plaignant, ce dernier est assigné à titre de machiniste chez une entreprise cliente. Dès le début de l'assignation, le plaignant développe une complicité avec le personnel de l'entreprise cliente. Il se fait dire que l'employeur va entreprendre des démarches afin de racheter son contrat et de l'intégrer officiellement dans l'équipe.

Or, après vérification, l'entreprise cliente indique au plaignant que les coûts de rachat sont trop onéreux et qu'il ne sera pas possible de procéder. Dans les jours suivant cette discussion, la relation entre le plaignant et son employeur se dégrade à un point tel où le plaignant questionne l'agence sur la légalité du contrat de travail les unissant. Au courant de cette conversation, l'employeur lui mentionne de considérer qu'il ne travaille désormais plus pour lui. Lorsque le plaignant tente de se présenter sur le site de l'entreprise cliente, on lui refuse l'accès en raison de son congédiement par l'agence qui l'emploie.

La décision

Suite à son congédiement, le plaignant dépose une plainte en vertu de l'article 122 de la LNT, alléguant avoir fait l'objet d'une mesure de représailles en raison de sa revendication relative à la légalité de son contrat d'emploi. À l'inverse, l'employeur prétend que le plaignant a été congédié en raison de son attitude et de son comportement.

Il y a lieu de rappeler que toute personne salariée au sens de la LNT ayant déposé sa plainte a le fardeau de prouver avoir exercé un droit prévu à la loi et avoir subi une mesure concomitante à l'exercice dudit droit pour bénéficier de la présomption selon laquelle la mesure a été prise à titre de représailles à son endroit. Pour repousser cette présomption, l'employeur doit alors prouver avoir pris la mesure pour une autre cause juste et suffisante par opposition à un prétexte visant à se soustraire de l'exercice du droit exercé par la personne salariée.

Dans cette affaire, le Tribunal administratif du travail retient que l'employeur agit clairement à titre d'agence de placement de personnel, facturant notamment l'entreprise cliente dans le dossier sous cette appellation. Dans ce contexte, le Règlements'applique à l'employeur et le plaignant a clairement, selon l'avis du Tribunal, tenté d'exercer son droit de refuser que son employeur tente de l'empêcher ou de restreindre son droit d'embauche auprès d'une entreprise cliente au-delà d'une période de six (6) mois de façon concomitante à son congédiement. Or, selon le Tribunal, les motifs soulevés par l'employeur pour repousser la présomption sont intrinsèquement liés à un motif illicite, soit la clause prévue au contrat de travail qui est illégale.

Dans ce contexte, le Tribunal accueille la plainte, ordonne la réintégration du plaignant dans son emploi de même que le paiement par l'employeur de la perte salariale subie entre la date de la plainte et celle de la décision, représentant plus de trente-deux (32) mois. L'employeur a demandé la révision de la décision. Il sera intéressant d'en suivre les développements, le cas échéant.

À retenir

Dans cette affaire, le Tribunal rappelle qu'une revendication contractuelle, effectuée par un employé d'agence relativement à l'interdiction de restreindre son embauche au-delà d'une période de six (6) mois, peut donner lieu à l'application des dispositions de l'article 122 de la LNT et notamment engendrer la réintégration d'un employé congédié dans ses fonctions en plus du paiement des pertes liées à la fin d'emploi.

Il demeure que la jurisprudence actuelle ne clarifie pas la signification de ce que constitue une restriction à l'embauche, la présente décision du Tribunal établissant uniquement que la clause utilisée par l'employeur était clairement illégale. Il est donc recommandable pour toute agence de placement de personnel exerçant ses activités sous juridiction provinciale ou fédérale de faire réviser ses clauses contractuelles par des professionnels de milieu juridique afin d'en confirmer la légalité et d'éviter de s'exposer à des risques, dont le risque qu'une plainte pour pratique interdite soit accueillie pour motif de revendication d'un droit prévu à la loi.

Footnotes

1. RLRQ c. n.-1.1., r. 01.

2. RLRQ c. n-1.1.

3. Voir notamment : Loi de 2000 sur les normes d'emploi de l'Ontario,  L.O. 2000, chap. 41, art. 74.8.

4. L.R.C. (1985), ch. L-2.

5. Voir Projet de loi C-86, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d'autres mesures,  art. 461.

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