Le Prononcé Pénal De L'administration N'interrompt Pas Indistinctement La Prescription De L'action Pénale

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Le Département fédéral des finances (DFF) a ouvert, le 30 novembre 2020, une procédure pénale administrative notamment contre A. pour soupçons de violation intentionnelle de l'obligation de communiquer au...
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Aux termes d'une ordonnance de classement du 20 mars 2024, récemment mise en ligne (SK.2022.54 ; consultable à l'adresse  https://bstger.weblaw.ch/cache?guiLanguage=de&q=sk.2022.54&id=3b4278cf-94f4-4219-bd52-bda7a7a0042e&sort-field=relevance&sort-direction=relevance), la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral (TPF) a été amenée à traiter de la question de la prescription de l'action pénale et, plus particulièrement, de son interruption par le prononcé pénal de l'administration (art. 70 de la Loi fédérale sur le droit pénal administratif [DPA ; RS 313.0]) dans le cadre d'une affaire ayant trait à des soupçons de violation de l'obligation de communiquer (art. 37 de la Loi fédérale sur le blanchiment d'argent ([LBA; RS 955.0]). 

En bref, les faits pertinents à l'origine de l'ordonnance précitée sont les suivants:

  • Le Département fédéral des finances (DFF) a ouvert, le 30 novembre 2020, une procédure pénale administrative notamment contre A. pour soupçons de violation intentionnelle de l'obligation de communiquer au MROS au sens de l'art. 37 LBA. Cette procédure faisait suite à une dénonciation pénale de la FINMA, intervenue dans le prolongement d'une procédure d'enforcement menée par cette autorité contre un intermédiaire financier dont A. était employé. Il était reproché à ce dernier d'avoir enfreint l'obligation de communiquer dans le contexte d'une relation d'affaires ayant entretenu des liens avec le fonds 1MDB.
  • Durant l'enquête du DFF, A. a contesté les charges. Il a requis à plusieurs reprises l'administration de preuves, dont sa propre audition ainsi que celle d'autres personnes impliquées dans les faits et dont des déclarations effectuées dans le cadre de la procédure d'enforcement de la FINMA étaient à charge. Le DFF a rejeté toutes les réquisitions de preuves formulées par A.
  • Par mandat de répression (art. 64 DPA) du 10 juin 2022, le DFF a conclu que A. s'était rendu coupable de violation intentionnelle de l'obligation de communiquer commise entre le 1er décembre 2012 et le 5 août 2016 et l'a condamné à une amende de CHF 150'000.-.
  • Sur opposition de A., le DFF a rendu, le 14 novembre 2022, un prononcé pénal (art. 70 DPA) dont le contenu était substantiellement identique à celui du mandat de répression.
  • Le 22 novembre 2022, A. a demandé à être jugé par la Cour des affaires pénales du TPF. Dans ce contexte, A. a requis l'administration des mêmes preuves que celles qu'il avait sollicitées, en vain, devant le DFF. En prévision des débats, la Cour des affaires pénales du TPF a admis certaines de ces requêtes, en particulier l'audition du prévenu et celle d'une autre personne, en qualité de personne appelée à donner des renseignements. La Cour des affaires pénales du TPF a par ailleurs ordonné d'office l'audition, en qualité de témoin, de deux autres personnes impliquées dans les faits.
  • Par requête du 31 juillet 2023, A. a sollicité le classement de la procédure dans la mesure où, selon lui, le prononcé pénal du DFF du 14 novembre 2022 n'avait pas interrompu la prescription.

Par ordonnance du 20 mars 2024, ici signalée, la Cour des affaires pénales du TPF a admis la demande de A. et ordonné le classement de la procédure en raison de la prescription de l'action pénale. Elle a en particulier considéré que le prononcé pénal du DFF ne reposait pas sur une base circonstanciée et n'avait pas été rendu à l'issue d'une procédure contradictoire, si bien qu'il ne pouvait pas interrompre la prescription de l'action pénale.

À l'appui de son ordonnance de classement, la Cour des affaires pénales du TPF a, dans un premier temps, rappelé les principes juridiques applicables à la prescription de l'action pénale en lien avec l'infraction à l'art. 37 LBA. Selon l'art. 52 de la Loi fédérale sur la surveillance des marchés financiers (LFINMA; RS 956.1), la prescription de l'action pénale relative à l'art. 37 LBA est de 7 ans (consid. 4.1.1). L'art. 37 LBA constituant une infraction continue, la prescription commence à courir dès le jour où les agissements coupables ont cessé. Cela étant, le point de départ de la prescription est directement lié à la détermination de la fin de l'obligation de communiquer (consid. 4.1.1).

D'après la jurisprudence désormais bien établie du Tribunal fédéral (TF) (ATF 147 IV 274, consid. 1.5 et 1.10.1) –quoique controversée et critiquée en doctrine –, le prononcé pénal rendu par une administration fédérale en vertu de l'art. 70 DPA est assimilé à un jugement de première instance interruptif de la prescription de l'action pénale, au sens de l'art. 97 al. 3 CP (consid. 4.2.2.1).

Cela étant, comme rappelé aux termes de l'ordonnance ici signalée (consid. 4.2.2.2), pour déployer un effet interruptif de la prescription de l'action pénale, la jurisprudence du TF exige que le prononcé pénal ait été rendu après que le prévenu s'est vu accorder des droits de participation étendus dans la procédure pénale administrative, c'est-à-dire qu'il doit intervenir à l'issue d'une « procédure contradictoire » et reposer sur une « base circonstanciée » (ATF 147 IV 274, consid. 1.5 et 1.10.1).

A contrario, lorsqu'un prononcé pénal ne remplit pas ces deux conditions (cumulatives), seul le jugement au fond, rendu par le tribunal de première instance, est à même d'interrompre valablement la prescription de l'action pénale.

Les notions de « caractère contradictoire » de la procédure et de « base circonstanciée » ne ressortent d'aucune disposition légale et la jurisprudence de notre Haute Cour ne les définit pas plus avant. C'est sur ces deux notions que la Cour des affaires pénales du TPF a eu l'occasion de revenir de manière détaillée aux termes de son ordonnance du 20 mars 2024, en adoptant l'approche suivante:

  • L'autorité pénale administrative doit mener une enquête approfondie, au plus tard entre le mandat de répression (art. 64 DPA) et le prononcé pénal rendu sur opposition (art. 70 DPA), dans la mesure où le prononcé pénal doit reposer sur une base circonstanciée (« auf einer umfassenden Basis zu beruhen »), contrairement au mandat de répression qui pourrait se fonder sur une base sommaire (consid. 4.2.3.1 et 4.2.3.3);
  • La notion de « procédure contradictoire » implique pour le prévenu le droit de connaître tous les éléments susceptibles d'influencer l'autorité dans son jugement, ainsi que la possibilité de s'exprimer sur ceux-ci et de les contester, respectivement d'être confronté auxdits éléments. Par ailleurs, une procédure contradictoire oppose généralement au moins deux parties ayant les mêmes droits et des intérêts contradictoires. En ce sens, le droit à un procès contradictoire est étroitement lié à l'égalité des armes. Cela étant, par nature, il manque à la procédure pénale administrative les caractéristiques essentielles d'une procédure contradictoire. En effet, la procédure pénale administrative n'oppose pas deux parties égales aux intérêts contradictoires, mais plutôt une personne prévenue d'un côté, et une administration qui enquête et qui rend une décision de condamnation de l'autre. Vu ce déséquilibre dans le rapport de force entre l'administration et le prévenu, une telle inégalité des armes doit être compensée non seulement par des droits de participation étendus, mais aussi par une obligation faite à l'administration d'enquêter les faits de manière la plus exhaustive possible (consid. 4.2.3.2);
  • L'obligation faite à l'autorité de mener une instruction approfondie est d'autant plus importante lorsque (i) la condamnation se fonde, pour l'essentiel, sur des propos – notamment écrits – provenant d'autres personnes que le prévenu, lequel doit pouvoir mettre à l'épreuve la crédibilité et vérifier la valeur probante desdits propos, et que (ii) l'affaire est – factuellement et/ou juridiquement – complexe (consid. 4.2.3.2).

Dans le cas d'espèce porté devant la Cour des affaires pénales du TPF, celle-ci a constaté qu'il s'agissait d'une affaire complexe, tant sur le plan factuel que juridique, vu notamment les responsabilités parallèles en matière de communication au MROS. La Cour des affaires pénales a par ailleurs relevé que, pour émettre son prononcé pénal, le DFF s'était, pour l'essentiel, fondé sur le dossier de la procédure d'enforcement qui avait été menée par la FINMA en amont de la procédure pénale administrative, sans que A. ne se soit vu offrir la possibilité (i) d'être auditionné oralement par le DFF et (ii) de contester la crédibilité des témoignages à charge en étant confronté aux personnes concernées, malgré ses requêtes répétées en ce sens. Or, dans la perspective des débats, la Cour des affaires pénales du TPF avait accepté la requête du prévenu visant son audition et celle d'une autre personne. La Cour avait aussi, de sa propre initiative, ordonné l'audition de témoins et la production de comptes-rendus d'auditions d'autres personnes qui avaient été menées par le chargé d'enquête de la FINMA (consid. L de l'état de fait; consid. 4.2.3.3).

La Cour des affaires pénales du TPF a considéré qu'il appartenait au DFF d'effectuer de tels actes d'instruction, au plus tard au stade de l'opposition au mandat de répression et donc avant l'émission du prononcé pénal. Dans la mesure où le prononcé pénal du 14 novembre 2022 avait été rendu sans que le prévenu n'ait eu la possibilité de vérifier la crédibilité et la valeur probante des preuves utilisées par le DFF pour fonder sa condamnation, le prononcé pénal ne reposait pas sur une base circonstanciée au sens de la jurisprudence du TF rappelée ci-dessus. Il n'avait dès lors pas déployé d'effet interruptif de la prescription de l'action pénale, dont l'avènement ne pouvait être que constaté par la Cour puisque plus de sept ans s'étaient écoulés depuis la fin de l'obligation de communiquer, arrêtée au 5 août 2016 (consid. 4.2.3.3 et 4.2.3.4).

Selon les informations publiées sur le site internet du TPF, la décision de classement ici signalée aurait fait l'objet d'un recours. Elle n'est donc pas encore définitive.

Cela étant, elle ne mérite pas moins d'être saluée, car elle apporte des clarifications utiles qui permettent de mieux cerner les contours des notions de « caractère contradictoire » d'une procédure et de « base circonstanciée ». Ces clarifications contribuent à améliorer la sécurité et la prévisibilité du droit, qui faisaient jusqu'ici cruellement défaut en la matière.

En somme, il faut selon nous notamment retenir de l'ordonnance de classement de la Cour des affaires pénales du TPF les enseignements suivants :

  • Les notions de « caractère contradictoire » et de « base circonstanciée » ne sont pas des tournures de style dénuées de portée. Il s'agit de conditions introduites par la jurisprudence du TF et dont le respect doit être attentivement vérifié dans chaque cas particulier ;
  • La jurisprudence (critiquable) du TF qui assimile le prononcé pénal d'une administration à un jugement de première instance aux termes de l'art. 97 al. 3 CP ne constitue pas un blanc-seing en faveur des administrations. Celles-ci ne sauraient s'affranchir de leur obligation d'instruire les faits de manière sérieuse et d'administrer les preuves nécessaires à la manifestation de la vérité, tout en escomptant que leur prononcé pénal déploiera un effet interruptif de la prescription ;
  • Le fait que le dossier d'une procédure pénale administrative soit volumineux et comporte des éléments recueillis par une autre autorité, par hypothèse administrative (à l'instar de la FINMA), en amont de la procédure pénale, ne comporte pas que le prononcé pénal reposerait nécessairement sur une « base circonstanciée ». Le respect de ce critère doit, bien plus, s'apprécier à l'aune de la qualité de l'enquête pénale menée par l'administration et notamment de la possibilité aménagée au prévenu dans ce contexte de se confronter aux éléments qui ressortent du dossier.

À noter enfin que, dans le contexte de la révision en cours de la DPA et de l'avant-projet de Loi fédérale sur le droit pénal administratif et la procédure pénale administrative, publié le 31 janvier 2024, il est envisagé de codifier la jurisprudence du TF en prévoyant, à l'art. 11 al. 4 AP-DPA, que « [l]a prescription ne court plus si un prononcé pénal ou de confiscation ou un jugement de première instance a été rendu avant l'échéance du délai de prescription ».

Outre le fait que le texte de l'art. 11 al. 4 AP-DPA ne restitue pas correctement la jurisprudence du TF, puisqu'il ne mentionne aucune des deux conditions que sont le caractère contradictoire de la procédure et la base circonstanciée sur laquelle doit reposer le prononcé pénal, l'ordonnance du 20 mars 2024 rendue par la Cour des affaires pénales du TPF démontre que le sens de ces notions est sujet à interprétation et qu'il va probablement s'écouler encore beaucoup de temps avant que leurs contours soient clairement tracés.

En outre, indépendamment de ces réflexions, nous restons fondamentalement opposés à l'idée qu'un prononcé pénal émanant d'une administration puisse être assimilé à un jugement d'un tribunal sous l'angle de la prescription. Il suffit de rappeler ici qu'un tel prononcé n'émane pas d'un juge indépendant et impartial au sens des art. 6 CEDH et 30 Cst. (cf. CR LBA-Garbarski/Macaluso, art. 37 N 70-86). En outre, en cas de demande du prévenu visant à être jugé par un tribunal, le prononcé pénal cesse d'exister en tant que décision susceptible d'avoir une portée juridictionnelle. Or, il est incompréhensible qu'on lui reconnaisse un effet de droit matériel aussi important que celui de l'interruption de la prescription de l'action pénale.

Originally published by VERWALTUNGSSTRAFRECHT.CH

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