Newsletter Du 20 Au 24 Mai 2024 | N° 76

MB
Monfrini Bitton Klein

Contributor

Based in Geneva, but borderless in its reach, Monfrini Bitton Klein is a litigation-only Swiss law firm, internationally recognised for asset recovery, business crime and cross-border litigation. We are representatives for Switzerland of ICC-FraudNet, the leading global network of fraud and asset recovery lawyers.
Absence de motifs propres à l'apposition des scellés par l'invocation du secret médical par le médecin prévenu
Switzerland Criminal Law
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I. ProcÉdure pÉnale

TF 7B_554/2023

Absence de motifs propres à l'apposition des scellés par l'invocation du
secret médical par le médecin prévenu [p. 2]

TF 7B_114/2024

Violation du droit d'être entendu par un prononcé ayant empêché l'exercice de la duplique et la production d'une note de frais pour la fixation d'une
indemnité [p. 6]

TF 7B_53/2023

Récusation d'un juge et d'une
greffière par suite de l'admission d'une demande de levée des scellés tardive [p. 3]

TF 6B_707/2023

Invalidité de la fixation par oral d'un délai pour communiquer une adresse de notification en procédure d'appel [p. 4]

II. Droit PÉNAL ÉCONOMIQUE

III. Droit international privÉ

IV. Droit de la poursuite et de la faillite

TF 5A_133/2024

Rappel de jurisprudence et portée des pratiques cantonales quant à la suspension provisoire de la
poursuite [p. 7]

TF 4A_640/2023

Exequatur d'un jugement portugais condamnant des débiteurs solidaires refusée à défaut
d'établissement du droit étranger [p.8]

V. entraide internationale

-

Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique
principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide
internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE


TF 7B_554/2023 du 23 avril 2024 | Absence de motifs propres à l'apposition des scellés par l'invocation du secret médical par le médecin prévenu (art. 248 al. 1 aCPP, art. 264 al. 1 let. c aCPP)

  • Le Ministère public du canton de Lucerne
    Ministère public») a mené une enquête pénale contre A. (« Recourant ») pour soupçon de gestion déloyale qualifiée, de faux certificat, d'intrusion non autorisée dans un système de traitement de données et de violation du secret de fabrication ou du secret commercial, respectivement d'infractions à la LCD, sur la base d'une plainte pénale qui a été déposée par B. AG, dont le prévenu était l'administrateur.
  • Par ordonnance de production du 24 mars 2023 adressée à une banque, le Ministère public a requis la remise de pièces détaillées concernant un compte d'exploitation de B. AG. Le 5 avril 2023, le Recourant a demandé l'apposition des scellés sur des extraits dudit compte. Le Tribunal des mesures de contrainte lucernois a finalement levé les scellés sur les documents bancaires transmis au Ministère public.
  • Devant le Tribunal fédéral, le Recourant a invoqué une violation du secret médical. En particulier, il a soutenu qu'en sa qualité de médecin et en raison de

la levée de scellés des documents bancaires de B. AG, des tiers pourraient avoir accès à la liste de ses patients de l'époque. Dès lors, en sa qualité de médecin et ancien membre du conseil d'administration de la société, il avait un intérêt juridiquement protégé à la confidentialité des pièces justificatives concernées. Par ailleurs, la simple mention du nom du patient était déjà propre à être sujet au secret médical. Partant, il ne lui était pas possible de nommer plus concrètement les documents scellés concernés, sans que le droit au secret invoqué ne soit déjà violé (consid. 4.1).

  • Le Tribunal fédéral a rappelé sa jurisprudence en précisant que le détenteur d'enregistrements et d'objets saisis à des fins de perquisition qui a déposé une demande d'apposition de scellés à l'obligation procédurale d'étayer dans le détail les intérêts au maintien du secret qu'il invoque (art. 248 al. 1 aCPP) et ceci au plus tard lors de la procédure de levée des scellés devant le tribunal des mesures de contrainte (consid. 4.3).
  • Notre Haute Cour a par ailleurs évoqué que les
    objets et documents provenant des relations du
    prévenu avec des personnes qui peuvent légalement refuser de témoigner et qui ne sont pas elles-mêmes accusées dans le même contexte matériel ne peuvent pas être saisis. Dans ce contexte, les médecins et leurs auxiliaires peuvent refuser de témoigner sur les secrets qui leur ont été confiés en raison de leur profession. Toutefois, ils ne peuvent pas invoquer le secret professionnel en leur nom propre comme obstacle à la levée des scellés s'ils sont eux-mêmes inculpés dans l'affaire en question
    (art. 264 al. 1 let. c CPP). En tout état de cause, si des dossiers de patients ont été saisis et mis sous scellés, en raison d'un médecin qui est accusé dans le cadre d'une procédure pénale, et que la direction de la procédure cherche à les utiliser au moyen d'une demande de levée des scellés, il convient,
    selon la pratique jurisprudentielle, de mettre en Suvre des moyens adéquats afin de préserver les droits des patients (consid. 4.4).
  • In casu, le Recourant ne pouvait pas invoquer le secret médical dans la présente procédure pénale. Il n'avait par ailleurs pas démontré l'existence d'intérêts dignes de protection des patients, de même qu'il n'avait pas non plus fait valoir que parmi les documents bancaires se trouvaient des enregistrements de dossiers médicaux. La simple possibilité d'une telle éventualité n'était pas suffisante à fonder le grief (consid. 4.5).
  • Partant, le recours a été rejeté.

TF 7B_53/2023 du 29 avril 2024 | Récusation d'un juge et d'une greffière par suite de l'admission d'une demande de levée des scellés tardive (art. 56 CPP)


  • Le Ministère public de Zurich-Limmat
    Ministère public») a mené une procédure pénale contre A. (« Recourant ») pour pornographie. Dans le cadre d'une procédure de levée des scellés devant le Tribunal des mesures de contrainte de Zurich (« Tribunal des mesures de contrainte »), le Recourant a déposé une demande de récusation contre le juge de district B. (« Intimé 1 ») et sa greffière C. (« Intimée 2 ») pour manque d'impartialité à son égard. Cette requête a été rejetée.
  • Le Tribunal fédéral a rappelé qu'au sens des art. 6 ch. 1 CEDH, 14 al. 1 Pacte ONU II et 30 al. 1 Cst., toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par des magistrats impartiaux, libres de tout préjugé et sans intervention de circonstances particulières étrangères à la cause. Au niveau fédéral, la garantie des droits fondamentaux est concrétisée à l'art. 56 CPP. Cet article dispose notamment que toute personne travaillant au sein d'une autorité pénale doit se récuser si elle risque d'être partiale en raison de son amitié ou de son hostilité envers une partie ou son conseil. Cette garantie est violée si, d'un point de vue objectif, il y a une apparence de partialité ou un risque de partialité. Par ailleurs, au sens de la jurisprudence telles conditions sont présumées exister lorsque des circonstances susceptibles d'éveiller la suspicion quant à l'impartialité du juge ou de la juge apparaissent. En revanche, il n'est pas exigé pour la récusation que le juge soit effectivement partial (consid. 2).
  • In casu, le Tribunal fédéral a relevé que la requête de levée des scellés avait été envoyée par le Ministère public au Tribunal des mesures de contrainte le dernier jour du délai, soit le 20 septembre 2022, uniquement par courriel non signé (et qui plus est, non versé au dossier de la procédure). Un deuxième exemplaire avait été envoyé et signé en date du 23 septembre 2022, soit après l'expiration du délai. Malgré la tardiveté de la demande, cette dernière avait été admise et cachetée le 20 septembre 2022 par le Tribunal des mesures de contrainte, à savoir les Intimés 1 et 2 (consid. 3.1).
  • Notre Haute Cour a considéré qu'indépendamment de la validité formelle de la requête de levée des scellés du Ministère public, l'ensemble des circonstances laissaient apparaître un manque de distance et de neutralité des Intimés. En particulier, le fait que le Tribunal des mesures de contrainte ait omis de signaler à la défense que la requête de levée des scellés avait été déposée, dans un premier temps, dans le délai imparti, mais sans signature numérique, puis qu'un délai supplémentaire avait été accordé pour rectification, était déjà propre à fonder l'impression que le Tribunal des mesures de contrainte avait agi unilatéralement en faveur du Ministère public (consid. 3.4).
  • Dès lors, la récusation des Intimés était fondée (consid. 4).
  • Partant, le recours a été admis.


TF 6B_707/2023 du 22 avril 2024 | Invalidité de la fixation par oral d'un délai pour communiquer une adresse de notification en procédure d'appel (art. 80 ss. CPP et
art. 407 CPP)


  • Le 2 mai 2022, A. (« Recourant ») a fait appel d'un jugement du Bezirksgericht d'Uster du 20 avril 2022. L'Obergericht du canton de Zurich a, par décision du 23 mars 2023, fixé l'audience d'appel le 29 juin 2023. La convocation à l'audience n'a pas pu être remise au Recourant à sa dernière adresse connue à Dübendorf. Par décision du 18 avril 2023, l'Obergericht a classé la procédure en considérant que l'appel du Recourant avait été fictivement retiré.
  • Il ressort des faits retenus par l'instance inférieure, qu'à la suite de l'envoi de la citation au curateur du Recourant, le greffe de l'Obergericht aurait contacté l'avocat du Recourant par téléphone afin qu'il lui fournisse une adresse de notification valable. Celui-ci aurait informé le greffe que le Recourant serait bientôt de retour en Suisse, sans toutefois fournir d'adresse. La greffière aurait ensuite fixé un délai au 12 avril 2023 pour que le défenseur communique une adresse postale, délai dont ce dernier conteste avoir été notifié. Après l'appel téléphonique, le défenseur pensait que l'instance s'adresserait au curateur et, si nécessaire, émettrait une invitation écrite pour communiquer l'adresse (consid. 1.1 à 1.3.3).
  • Concernant la prétendue fixation par oral d'un délai, le Tribunal fédéral a rappelé que c'est précisément lorsque l'autorité fixe un délai dont l'expiration entraîne la perte des droits qu'il est essentiel, pour des raisons de sécurité juridique, que le contenu de la communication ainsi que la volonté de l'autorité qui y est liée soient exprimés de manière claire, précise et complète (consid. 1.3.4).
  • In casu, l'absence d'indication sur les conséquences du non-respect du délai a empêché le Recourant de se défendre contre celles-ci, violant ainsi son droit d'être entendu. De surcroît, notre Haute Cour a relevé que le délai aurait non seulement dû être fixé par écrit, mais surtout par la direction de la procédure, étant précisé qu'une ordonnance écrite ne peut être signée par une greffière (consid. 1.3.4).
  • Les communications des autorités pénales sont en principe faites par écrit (art. 85 al. 1 CPP). Pour les citations à comparaître du ministère public, des autorités pénales compétentes en matière de contraventions et des tribunaux, l'exigence de la forme écrite découle expressément de l'art. 201 al. 1 CPP. La notification se fait par envoi postal recommandé ou d'une autre manière contre récépissé, notamment par la police. Une notification est en principe aussi valablement effectuée lorsque la connaissance du destinataire peut être prouvée d'une autre manière et que les intérêts à protéger du destinataire (droit à l'information) sont sauvegardés (consid. 1.4.1).
  • Les communications doivent être notifiées aux destinataires à leur domicile, à leur résidence habituelle ou à leur siège (art. 87 al. 1 CPP). Si ceux-ci se situent à l'étranger, un domicile de notification doit être désigné en Suisse. Les communications aux parties qui ont désigné un conseil juridique sont valablement notifiées à ce dernier (art. 87 al. 3 CPP). Néanmoins, si une partie doit se présenter personnellement à une audience ou accomplir elle-même des actes de procédure, la communication lui est directement notifiée étant donné que les conséquences du défaut n'incombent qu'à elle et qu'elle a personnellement droit à un procès équitable (consid. 1.4.1).
  • L'art. 407 al. 1 let. c CPP est une lex specialis pour la procédure d'appel, qui prime sur l'art. 88 al. 1 CPP. Si la partie qui a déclaré l'appel ne peut pas être citée valablement, la fiction du retrait s'applique immédiatement selon le libellé clair de la disposition légale (consid. 1.4.3).
  • In casu, la fixation d'un délai pour désigner un domicile de notification par oral n'était pas valable sur le plan formel. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une décision ou une ordonnance ne peut plus être considérée comme une simple décision d'organisation de la procédure si elle peut être directement préjudiciable à une partie à la procédure, c'est-à-dire si elle porte atteinte à sa situation juridique. Comme le défaut aurait entraîné le retrait de l'appel - et donc une perte des droits complète et définitive sous la forme de l'autorité de la chose jugée du jugement attaqué - ladite décision pouvait entraîner des conséquences extrêmement négatives pour le Recourant et entraîner une atteinte considérable à sa situation juridique. Compte tenu de la portée de ces conséquences juridiques, l'invitation à désigner un domicile de notification n'était pas, en l'espèce, une « simple » décision d'orientation de la procédure au sens de l'art. 80 al. 3 CPP ou de l'art. 84 al. 5 CPP. En application des dispositions pertinentes de l'art. 80 al. 2 CPP et de l'art. 85 al. 1 CPP, la décision aurait donc dû être rendue par écrit. La communication orale par téléphone ne satisfait donc pas les exigences de forme légales (consid. 1.5.2).
  • En outre, la preuve de la notification ou de la communication en bonne et due forme ainsi que de la date incombe à l'autorité qui veut en tirer des conséquences juridiques. Avec à son appui de simples notes téléphoniques, l'instance précédente n'était pas parvenue à démontrer que l'avocat du Recourant avait effectivement pris connaissance du délai fixé et devait être conscient de son caractère contraignant (consid. 1.5.3).
  • Par conséquent, le délai fixé oralement par l'instance inférieure pour communiquer une adresse de notification n'était pas valable et n'a pas déployé d'effets, si bien que le Recourant n'était pas défaillant. Dès lors, c'était à tort que l'instance inférieure avait considéré l'appel avait été retiré au sens de l'art. 407 al. 1 let. c CPP (consid. 1.6).
  • Partant, le recours a été admis.

TF 7B_114/2024 du 29 avril 2024 | Violation du droit d'être entendu par un prononcé ayant empêché l'exercice de la duplique et la production d'une note de frais pour la fixation d'une indemnité (art. 429 CPP)


  • Le 28 mai 2021, B. et C. ont dénoncé A. (« Recourant ») pour escroquerie, abus de confiance et faux dans les titres, infractions pour lesquelles le ministère public de Baden a classé la procédure le 19 juin 2023. Par jugement du 5 janvier 2024, l'Obergericht d'Argovie a (i) rejeté le recours de C. dirigé contre l'ordonnance de classement, (ii) pas entré en matière sur le recours de B. et (iii) alloué au Recourant une indemnité de CHF 2'130.-. Le Recourant a interjeté recours contre cette décision, en concluant à son annulation et à son renvoi pour nouvelle décision.
  • Le Recourant a reproché à l'Obergericht d'avoir violé son droit d'être entendu au sens de l'art. 29 al. 2 Cst., de l'art. 3 al. 2 let. c et de l'art. 107 CPP en ne signalant pas aux parties l'imminence de son jugement après avoir reçu la réplique de la partie plaignante et en n'invitant pas le Recourant à déposer une note de frais pour pouvoir requérir une indemnité selon l'art. 429 CPP (consid. 2.1).
  • Le prévenu a droit, en cas d'acquittement ou de classement, à l'indemnisation de ses frais pour l'exercice approprié de ses droits procéduraux (art. 429 al. 1 let. a CPP). L'autorité pénale doit examiner d'office le droit à l'indemnisation (art. 429 al. 2 CPP), sans toutefois devoir, au sens du principe d'instruction de l'art. 6 CPP, établir d'office tous les faits importants pour l'appréciation du droit à l'indemnisation. Toutefois, elle doit au moins entendre les parties sur la question et, le cas échéant, les inviter, conformément à l'art. 429 al. 2 phr. 2 CPP, à chiffrer et à justifier leurs prétentions. Si l'autorité demande au prévenu, qui est tenu de collaborer, de chiffrer ses prétentions et que celui-ci ne réagit pas, on considère qu'il a renoncé (implicitement) à une indemnisation (consid. 2.2).
  • In casu, le Tribunal fédéral a relevé que l'Obergericht n'avait, à aucun moment, invité le Recourant à déposer une note de frais. L'instance précédente n'avait pas non plus annoncé la clôture de l'échange d'écritures. En outre, la partie adverse avait pu prendre position deux fois dans la procédure de recours, par le biais d'un recours et d'une réplique, alors que le Recourant n'avait eu qu'une seule occasion de prendre position par le biais d'une réponse au recours, sans bénéficier d'une duplique. Le Recourant ne pouvait pas s'attendre à n'avoir la parole qu'une seule fois et à ce que l'instance inférieure rende sa décision dès réception de la réplique. Il n'avait aucune raison de déposer de lui-même une note de frais à ce stade de la procédure, puisqu'il pouvait s'attendre à pouvoir s'exprimer deux fois, comme la partie adverse (consid. 2.3).
  • Dès lors, le Tribunal fédéral a considéré que l'instance inférieure avait violé le droit d'être entendu du Recourant, en ne l'invitant pas, après réception de la réplique, à déposer une note de frais et à se prononcer sur le montant de l'indemnité qu'il réclamait (consid. 2.3).
  • Partant, le recours a été admis.

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE


III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE


TF 5A_133/2024 du 25 avril 2024 | Rappel de jurisprudence et portée des pratiques cantonales quant à la suspension provisoire de la poursuite (art. 85a al. 2 LP)


  • À teneur de l'art. 85a al. 1 LP, le débiteur poursuivi peut agir en tout temps au for de la poursuite, selon la procédure ordinaire ou simplifiée, pour faire constater que la dette n'existe pas ou plus ou qu'un sursis a été accordé. Cette action a une double nature. À l'instar de l'action en libération de dette, elle est d'une part, une action de droit matériel visant la constatation de l'inexistence de la créance ou l'octroi d'un sursis; d'autre part, elle a, comme l'art. 85 LP, un effet de droit des poursuites, en ceci que le juge qui admet l'action ordonne l'annulation ou la suspension de la poursuite. L'action de l'art. 85a al. 1 LP ne peut pas, contrairement à la lettre de cette disposition, être exercée en tout temps, mais uniquement après que l'opposition a été définitivement écartée et jusqu'à la distribution des deniers, respectivement jusqu'à l'ouverture de la faillite.
  • L'introduction de l'action au fond n'a pas pour effet de suspendre la poursuite en cours, soit faire obstacle à sa continuation. Le juge saisi de l'action au fond peut toutefois suspendre provisoirement la poursuite dans la mesure où, après avoir d'entrée de cause entendu les parties et examiné les pièces produites, il estime que la demande est très vraisemblablement fondée (art. 85a al. 2 LP). La suspension provisoire prend la forme de mesures provisionnelles et peut être ordonnée à titre superprovisionnel. En présence d'une poursuite par voie de saisie ou en réalisation de gage, la suspension provisoire peut être ordonnée avant la réalisation ou, si celle-ci a déjà eu lieu, avant la distribution des deniers (art. 85a al. 2 ch. 1 LP) (consid. 5.1.1).
  • La voie ouverte par l'art. 85a LP est également applicable pour les créances de droit public fondées sur des décisions administratives, à l'instar des bordereaux de taxation; dans ce cas, le juge civil n'est compétent que pour statuer sur les questions de droit des poursuites au sens de l'art. 85a al. 3 LP (annulation ou suspension de la poursuite) et pour ordonner la suspension provisoire de la poursuite de l'art. 85a al. 2 LP; il appartient en revanche à l'autorité administrative de trancher les questions de fond qui relèvent de sa compétence, telle que l'existence ou l'inexistence de la créance de droit public considérée (art. 85a al. 1 LP) (consid. 5.1.2).
  • Selon la pratique de certains cantons, le juge civil compétent pour statuer sur les questions de droit des poursuites au sens de l'art. 85a al. 2 et 3 LP doit, en l'absence de décision définitive portant sur la créance de droit public objet de la poursuite litigieuse, transmettre l'affaire à l'autorité judiciaire administrative compétente pour qu'elle statue sur les questions de fond qui lui incombent (consid. 5.1.2).
  • La recevabilité de la requête de suspension provisoire de la poursuite de l'art. 85a al. 2 LP suppose qu'une action en constatation et en annulation au sens de l'art. 85a al. 1 LP ait valablement été déposée et que les conditions posées pour la recevabilité de celle-ci soient réalisées ou, à tout le moins, rendues très vraisemblables. L'existence d'une poursuite pendante et valable est quant à elle une condition de recevabilité de l'action selon l'art. 85a LP, celle-ci ne devant notamment pas être éteinte par la forclusion du droit du poursuivant d'en requérir la continuation, par le paiement du poursuivant ou d'un intervenant à l'office des poursuites, ou par la distribution des deniers. L'absence d'opposition formée en temps utile, ou le fait que cette opposition ait été définitivement levée, est dès lors une condition de recevabilité de l'action (consid. 5.1.3).
  • Cela étant, le droit à la suspension provisoire n'est pas inconditionnel, le juge ne l'ordonnant que si la demande en annulation ou en suspension de la poursuite de l'art. 85a al. 1 LP est très vraisemblablement fondée. Cette condition n'est réalisée que lorsque les chances de gagner le procès sont nettement plus élevées pour le poursuivi que pour le poursuivant. Le degré de preuve requis dépasse ainsi la simple vraisemblance, sans pour autant que la certitude soit requise. Des considérations relatives à la vraisemblance d'une atteinte et à un risque irréparable pour le requérant aux mesures provisionnelles, au sens de l'art. 261 CPC, ne sont pas pertinentes. Les conditions d'octroi sont autres lorsqu'il est fait application de l'art. 85a LP. Il convient d'être exigeant dans l'interprétation de la haute vraisemblance afin de prévenir des actions abusives et des requêtes dilatoires (consid. 5.1.4).
  • In casu, le Recourant soutenait que l'art. 85a LP avait été appliqué de manière arbitraire, consacrant ainsi un déni de justice l'empêchant d'accéder à la justice. Toutefois, d'après le Tribunal fédéral, il ne semblait pas arbitraire de ne pas suivre la pratique de certains cantons préconisant que le juge civil transmette l'affaire à l'autorité compétente pour trancher les questions de fond relevant de l'art. 85a al. 1 LP et d'au contraire considérer, comme l'a fait en définitive l'autorité cantonale, qu'il appartenait plutôt au débiteur d'agir parallèlement devant la juridiction administrative (consid. 5.2).
  • Notre Haute Cour a aussi considéré qu'il n'était pas non plus insoutenable de retenir que le juge civil, compétent pour ordonner le cas échéant la suspension provisoire de la poursuite selon l'art. 85a al. 2 LP, doit, pour ce faire et quand bien même la créance en poursuite serait de droit public, vérifier que les conditions en sont bien remplies, ce qui, selon l'autorité cantonale, n'était pas le cas en l'espèce (consid. 5.2)

TF 4A_640/2023 du 24 avril 2024 | Exequatur d'un jugement portugais condamnant des débiteurs solidaires refusée à défaut d'établissement du droit étranger

  • Par jugement du 5 janvier 2015, un Tribunal portugais a condamné C. et B. à payer à
    Recourant»), le montant de EUR 39'113.- avec intérêts à 4 %, en considérant comme prouvé que le contrat de prêt du 17 février 2014 passé entre eux était nul, si bien que l'argent prêté devait être restitué.
  • En 2023, le Recourant a introduit deux poursuites séparées contre C. et B., qui se sont vu notifier chacun un commandement de payer pour le montant de CHF 38'692.42 avec intérêts à 4 % dès le 17 février 2014, indiquant comme cause de l'obligation le jugement du 5 janvier 2015. Par deux arrêts du 21 septembre 2023, dont le contenu est identique, l'Autorité de recours en matière civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel a rejeté les requêtes de mainlevée définitive déposées par le Recourant à l'encontre des oppositions formées, en considérant que la question de savoir si le droit portugais connaissait le mécanisme de la solidarité, ce qui était possible, relevait d'un examen qui échappait au champ d'investigation du juge de la mainlevée, que celui-ci devait se limiter à constater que le jugement du 5 janvier 2015 ne permettait pas d'admettre que chaque défendeur était tenu pour la totalité ou de déterminer quelle part de la dette devait lui être attribuée, et qu'il ne pouvait donc accorder la mainlevée définitive contre les poursuivis sur la base de ce jugement.
  • La question litigieuse soumise au Tribunal fédéral concernait le caractère exécutoire du jugement portugais, plus précisément la question de savoir si le jugement portugais condamnait, solidairement ou non, les défendeurs à payer au demandeur le montant de EUR 39'113 euros avec intérêts et si
    l'exequatur pouvait être admise à l'encontre de chacun des poursuivis pour le montant total
    (consid. 5).
  • Le Tribunal fédéral a relevé que la conception adoptée par l'instance précédente aurait été correcte en droit interne au regard de l'art. 80 al. 1 et 2 LP, soit pour l'exécution de jugements rendus en Suisse, mais ne pouvait être suivie lorsque le juge de la mainlevée doit statuer à titre incident sur l'exequatur d'un jugement étranger soumis à la Convention de Lugano (consid. 5.1).
  • En particulier, notre Haute Cour a souligné que la question de la solidarité des débiteurs devait être éclaircie en application du droit de l'État d'origine, soit le droit portugais. Or, il n'incombait pas au juge de la mainlevée, ni de première instance, ni de recours, de rechercher d'office si, en droit portugais, les débiteurs d'un contrat de prêt sont solidaires (consid. 5.2).
  • Dès lors, le Tribunal fédéral a considéré que l'exequatur devait être refusée par substitution de motifs et que la mainlevée définitive devait être rejetée.
  • Partant, le recours a été rejeté.


V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.

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