Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 1C_19/20231 du 11 octobre 2023 | Indemnisation LAVI – salaire impayé – traite d'êtres humains (art. 19 LAVI)

  • Le Recourant a été victime de traite d'êtres humains. Il a été employé dans des conditions de travail illégales, notamment concernant sa rémunération qui s'élevait à EUR 970.- pour 385 heures de travail. Le Recourant s'est adressé à l'autorité compétente en matière d'indemnisation LAVI du canton de Vaud (la Direction générale des affaires institutionnelles et des communes du canton de Vaud) en demandant une indemnité à titre de réparation morale ainsi que d'indemnisation pour le salaire non perçu.
  • Sa requête en indemnisation du tort moral a été acceptée par l'autorité, contrairement à celle concernant le salaire impayé. Pour l'autorité compétente, ainsi que l'instance inférieure, le dommage constituait un préjudice matériel/purement économique, dont l'indemnisation était expressément exclue par l'art. 19 al. 3 LAVI.
  • Le Recourant a fait valoir par devant le Tribunal fédéral une nouvelle interprétation de l'art. 19 LAVI. Selon lui, l'alinéa 3 excluant l'indemnisation des dommages purement économiques, doit se lire de pair avec l'alinéa 2 qui prévoit que le dommage est fixé selon les art. 45 CO (dommages-intérêts pour cause de mort) et 46 CO (dommages-intérêts en cas de lésions corporelles). Les restrictions qui découlent de l'art. 19 al. 3 LAVI ne concerneraient par conséquent que les cas de mort ou de lésions corporelles. Dans la mesure où l'indemnisation à laquelle le Recourant prétendait ne trouvait pas son fondement dans les art. 45 et 46 CO, l'art. 19 al. 3 LAVI ne devait pas s'appliquer au cas d'espèce et le salaire impayé devait être indemnisé au sens de l'art. 19 al. 1 LAVI (consid. 3).
  • Le Tribunal fédéral a dans un premier temps confirmé, par le biais des méthodes d'interprétation, la volonté du législateur et le texte de l'art. 19 al. 3 LAVI : les dommages matériel et économique ne sont pas indemnisés (consid. 3.4).
  • Dans un second temps, notre Haute Cour s'est penchée sur la conformité de cette interprétation avec le droit international, notamment avec l'art. 4 § 2 CEDH et l'art. 15 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains entrée en vigueur en Suisse le 1er avril 2013 (CETEH). Le Tribunal fédéral a notamment examiné la jurisprudence Chowdury de la CourEDH. Dans cet arrêt, la CourEDH a observé, au regard de l'art. 4 CEDH, la situation de travailleurs recrutés comme mains-d'Suvre agricoles en Grèce. Elle a jugé que la Grèce avait failli à certaines des obligations positives découlant de l'art. 4 § 2 CEDH, en particulier à l'obligation d'instaurer des mesures de prévention et de protection des victimes de traite, ainsi qu'à l'obligation de mener une enquête et une procédure effectives. La CourEDH a reconnu qu'un préjudice matériel, correspondant aux salaires non perçus, découlait de cette violation. Elle a par conséquent octroyé une indemnité correspondante aux requérants sur la base de l'art. 41 CEDH. Dans ce cadre, la CourEDH a balayé l'argument de la Grèce qui considérait que le montant des salaires impayés n'avait pas de lien de causalité avec la violation de l'art. 4 CEDH. Depuis cet arrêt, certains auteurs, sur lesquels s'est fondé le Recourant, considèrent que la Suisse a l'obligation, au sens de l'art. 4 § 2 CEDH, interprété à la lumière de l'art. 15 al. 4 CETEH, de mettre en place un système d'indemnisation des victimes de traite qui permette la réparation du dommage correspondant au salaire impayé principalement par les auteurs d'infraction, mais également, de manière subsidiaire, par l'Etat (consid. 4.2).
  • Le Tribunal fédéral a rejeté cette doctrine au motif que dans l'arrêt de la CourEDH Chowdury, la violation de l'art. 4 CEDH ne découlait pas de l'absence d'indemnisation pour le préjudice matériel, mais de la violation de la Grèce de ses obligations de prendre des mesures pour protéger les victimes de traite et d'assurer une enquête et une procédure effectives. Il ne ressort ainsi pas de la jurisprudence de la CourEDH que l'art. 4 CEDH, même interprété à la lumière de l'art. 15 CETEH, prévoie une obligation positive d'instaurer un mécanisme d'indemnisation subsidiaire par l'Etat des victimes de traite d'êtres humains à hauteur des salaires qu'elles n'auraient pas perçus (consid. 4.3).
  • En conclusion, l'art. 19 al. 3 LAVI empêche bel et bien l'indemnisation des préjudices matériels et économiques.
  • Dès lors, le recours a été rejeté.

TF 6B_1042/2023 du 20 octobre 2023 | Dies a quo du délai de recours en cas de double notification (avocat d'office et avocat de choix)

  • Le Recourant a allégué que la décision cantonale, objet du recours, aurait été notifiée au domicile élu de son conseil de choix genevois actuel, le 7 juillet 2023, si bien que le délai aurait commencé à courir le 8 juillet 2023, que son cours aurait été suspendu du 15 juillet au 15 août 2023 (art. 46 al. 1 let. b LTF) pour échoir le 7 septembre 2023, échéance qui aurait été reportée au 8 septembre 2023, premier jour utile ensuite du jour férié cantonal du Jeûne genevois (art. 45 al. 1 et 2 LTF). L'enveloppe contenant le recours étant frappée du sceau postal du 6 septembre 2023, le délai de recours aurait été respecté (consid. 5).
  • Le Tribunal fédéral a toutefois constaté que ladite décision avait été notifiée sous pli recommandé au conseil d'office du Recourant le 5 juillet 2023 et qu'un exemplaire de cet arrêt n'a été transmis qu'en courrier A à son conseil de choix genevois, en réponse à sa demande du 4 juillet 2023 (consid. 6).
  • La question à trancher était celle de savoir laquelle des deux dates de réception de la décision constituait le dies a quo du délai de recours, soit si la notification au conseil d'office avait déployé cet effet. Cela revenait à s'interroger sur l'étendue temporelle du mandat du défenseur d'office en appel (consid. 6).
  • Sauf circonstances particulières, le mandat du conseil d'office ne prend fin qu'au terme de la procédure, respectivement une fois la procédure pénale parvenue à son terme par un acquittement ou une condamnation définitifs. Un tel mandat ne s'étend, par ailleurs, pas au recours au Tribunal fédéral, qui fait l'objet d'une réglementation spécifique impliquant une nouvelle demande et une décision (art. 64 LTF). Ainsi, la réception de la décision rendue sur appel dûment notifiée et sa communication à la partie assistée font encore partie intégrante du mandat du défenseur d'office en appel (consid. 7).
  • In casu, le Tribunal fédéral a retenu qu'il n'avait été allégué aucune circonstance qui imposerait de considérer que le mandat du conseil d'office en appel aurait pris fin avant que la décision de dernière instance cantonale ait été notifiée à cet avocat. Rien n'indiquait, notamment, que cet avocat aurait été formellement relevé de sa mission. C'est dès lors bien cette notification intervenue le 5 juillet 2023 qui a constitué le dies a quo du délai de recours au Tribunal fédéral, qui a commencé à courir le 6 juillet 2023. Le cours de ce délai a été suspendu du 15 juillet au 15 août 2023 pour échoir le mardi 5 septembre 2023 (consid. 8).
  • Dès lors que l'enveloppe contenant le recours comportait le sceau postal du 6 septembre 2023, le recours était tardif et, partant, irrecevable (consid. 8).

TF 6B_22/2023 du 16 octobre 2023 | Procédure orale de recours en cas de nouvelle appréciation des faits (art. 406 al. 1 let. a CPP)

  • Le Ministère public avait recouru auprès du Tribunal fédéral en contestant l'acquittement du Recourant. Notre Haute Cour avait alors renvoyé la cause à l'instance précédente. Dans le présent recours, le Recourant a invoqué une violation de son droit d'être entendu, car l'instance cantonale n'avait pas procédé à un échange d'écritures avant de rendre son jugement sur renvoi.
  • Le Tribunal fédéral a rappelé que la procédure de recours écrite est une exception et est soumise aux conditions strictes de l'art. 406 CPP. Dans le cadre d'une procédure pénale, le prévenu a droit à une audience publique et au prononcé d'un jugement conformément à l'art. 6 § 1 CEDH. L'art. 406 al. 1 let. a CPP permet cependant à la juridiction d'appel de traiter le recours en procédure écrite si elle doit statuer exclusivement sur des questions de droit, sans réexamen des faits. Lorsque le Tribunal fédéral annule le recours et renvoie la cause à l'instance précédente, la question du caractère oral ou écrit de la procédure devant la cour d'appel doit être résolue en considérant le cadre du renvoi, tel que défini par l'arrêt du Tribunal fédéral. La procédure peut ainsi être écrite si le renvoi porte exclusivement sur une question juridique (consid. 3.2.2).
  • In casu, l'instance cantonale avait demandé aux parties si elles souhaitaient la convocation d'une nouvelle audience ou si elles y renonçaient. Le Recourant avait alors informé le tribunal qu'il renonçait à une audience. Par la suite, l'instance précédente s'était prononcée sur la culpabilité du Recourant, notamment en niant que les faits pour lesquels il avait été acquitté par le Tribunal de première instance étaient les mêmes que ceux ayant fait l'objet de la condamnation initiale et posait donc un problème au regard du principe ne bis in idem. Le jugement entrepris prévoyait également une peine différente que lors de la première condamnation.
  • Notre Haute Cour a considéré que l'appréciation de l'identité des faits, qui aurait empêché une condamnation sur la base du principe ne bis in idem, portait sur la question de savoir si les faits étaient identiques. Il ne s'agissait pas d'une simple application d'une disposition légale, de sorte que la question n'était pas seulement juridique. Comme le tribunal cantonal était également tenu de procéder à une nouvelle fixation de la peine, une audience était en principe également nécessaire pour tenir compte de la situation personnelle du Recourant, qui avait changé entre-temps. Dans ces conditions, la cour cantonale ne s'était pas contentée de statuer sur de simples questions juridiques, mais également sur des aspects qui supposent l'établissement des faits et l'appréciation de preuves. En traitant le recours en procédure écrite, le Tribunal fédéral a conclu qu'elle avait violé l'art. 406 al. 1 CPP et il appartenait donc à la juridiction cantonale d'ordonner une nouvelle procédure orale (consid. 3.3).
  • Partant, le recours a été admis (consid. 5.1).

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

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III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

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IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

TF 5A_445/2023 du 2 octobre 2023 | Adjudication d'un bien-fonds et absence de pouvoirs de représentation d'un administrateur

  • Le 10 mai 2023, l'Office des poursuites de la Broye (« l'Office ») a procédé à la vente aux enchères d'un bien-fonds. L'adjudication a été prononcée au prix de CHF 530'000.- en faveur de deux sociétés (C. SA et D. AG), à raison d'une moitié chacune.
  • Par courrier du 16 mai 2023, une locataire de l'immeuble érigé sur le bien-fonds précité a déposé une plainte contre cette adjudication. Elle concluait principalement à la nullité, subsidiairement à l'annulation de la vente aux enchères au motif que seul un des deux administrateurs de la société C. SA avait conclu l'achat du bien-fonds, alors que les deux administrateurs devaient agir ensemble pour engager la société.
  • Invoquant une constatation manifestement inexacte des faits ainsi qu'une violation de l'art. 8 CC et des art. 718, 718a al. 2 et 32 CO, la Recourante soutient que F., qui, selon le procès-verbal des enchères, a conclu et signé la vente pour le compte de C. SA, aurait dû produire une procuration établie par E., administrateur président de la société. Faute de l'avoir fait, il ne disposait pas des pouvoirs suffisants pour acquérir le bien-fonds lors de la vente aux enchères (consid. 4).
  • La vente aux enchères se déroule sous la responsabilité de l'office, par le préposé, un substitut ou un collaborateur, duquel elle est en principe dirigée. Il appartient au directeur des enchères de vérifier la recevabilité des offres faites par les participants aux enchères (consid. 4.1.2).
  • Selon l'art. 58 al. 2 ORFI, l'office peut, avant de prononcer l'adjudication, exiger que ceux qui misent en qualité de représentants d'un tiers ou d'organes d'une personne juridique justifient de leurs pouvoirs. Ces pouvoirs seront joints au dossier, si le représentant obtient l'adjudication. Le directeur des enchères ne saurait adjuger le droit patrimonial mis en vente à un représentant sans pouvoir en fixant un délai au représenté pour ratifier (consid. 4.1.2).
  • L'adjudicataire agissant pour le compte d'un tiers doit donc être en mesure de produire, avant que l'adjudication ne soit prononcée, une procuration rédigée en des termes ne laissant pas de place au doute (consid. 4.1.2).
  • In casu, était décisif le point de savoir si une procuration établie et signée par E. avait été fournie avant ou, au plus tard, au moment de l'adjudication. Or, sur ce point, force était de constater que l'autorité cantonale avait purement et simplement repris les allégations formulées par l'Office selon lesquelles tel avait été le cas, alors qu'aucune pièce au dossier n'attestait de la date du dépôt de ladite procuration, ni ne permettait de vérifier que la signature qui y était apposée était bien celle de E. Il lui appartenait toutefois de vérifier le bien-fondé des allégations de l'Office en procédant aux actes d'instruction nécessaires (consid. 4.4).
  • Partant, le recours a été admis (consid. 5).

V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

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Footnote

1. Destiné à publication.

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