Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 7B_189/2023 du 16 octobre 2023 | Assistance judiciaire (art. 29 al. 3 Cst.) pour une procédure de récusation

  • Le Recourant reprochait à l'instance précédente d'avoir écarté à tort sa demande d'assistance judiciaire dans le cadre d'une procédure de récusation (consid. 3.1).
  • La Chambre pénale de recours avait considéré qu'une demande de récusation ne nécessitait pas de connaissance juridique particulière et qu'un citoyen ordinaire devait être en mesure de faire valoir ses droits en exposant simplement ce qui, selon lui, ferait apparaître le magistrat comme étant partial. Selon l'instance cantonale, le Recourant était ainsi parfaitement à même d'agir seul et sa requête était également vouée à l'échec ; aucune circonstance ne justifiait donc l'octroi de l'assistance judiciaire au sens de l'art. 29 al. 3 Cst. (consid. 3.3).
  • Le Tribunal fédéral n'a pas suivi ce raisonnement. Les considérations d'ordre général de l'instance précédente ne permettaient pas de comprendre pourquoi, dans le cas d'espèce, le Recourant aurait disposé des compétences suffisantes pour identifier le motif de récusation invoqué, à savoir, en substance, que l'envoi d'un avis de prochaine clôture par le Procureur général pourrait être contraire aux injonctions qui lui avaient été données dans un arrêt de renvoi annulant la classement, ordonnant le renvoi des prévenus en jugement et sollicitant la jonction des procédures. Cette question se distinguait en outre des moyens usuellement soulevés dans le cadre d'une récusation (par exemple les propos tenus ou le comportement adopté par le magistrat Intimé). Sans l'assistance d'un avocat et en l'absence de toute autre explication, le Tribunal fédéral a donc déclaré qu'on ne saurait considérer qu'une personne dénuée de compétences juridiques aurait été nécessairement à même de déceler l'éventuelle erreur procédurale du Procureur général. Enfin, dans le cadre de l'examen prévalant en matière d'assistance judiciaire, la cause n'apparaissait pas d'emblée dénuée de chances de succès, puisque l'acte contesté du Procureur général ne correspondait pas, sur un plan objectif, aux injonctions données dans l'arrêt de renvoi (consid. 3.4).
  • L'indigence du Recourant n'étant pas litigieuse, les conditions permettant de reconnaître le droit du Recourant à l'assistance judiciaire pour la procédure de récusation étaient réalisées et le recours a été admis sur ce point (consid. 3.4).

TF 7B_578/2023 du 23 octobre 2023 | Absence de préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) pour une décision d'accès au dossier dans une procédure de récusation

  • Dans le cadre de la manifestation (non autorisée) « Basel nazifrei » du 24 novembre 2018, de nombreuses procédures étaient en cours au Strafgericht de Bâle-Ville pour divers délits. Une interview de René Ernst, l'un des présidents en exercice du tribunal, a été publiée à ce sujet dans le Basler Zeitung. Dans un reportage de Schweiz Aktuell de la SRF, il a ensuite été rapporté que l'interview avait été réalisée « après concertation avec ses collègues juges ». Le Wochenzeitung a également publié un article : en se référant à un courriel interne au tribunal, transmis au journal, d'un juge (ordinaire) du tribunal pénal de Bâle-Ville, dont le nom n'a pas été cité, il y était essentiellement question d'accords entre les présidents des tribunaux pénaux, en amont des procès « Basel nazifrei », visant à « linksextremen Demonstranten eine gewisse Schiene zu fahren ».
  • Seize des personnes accusées dans le cadre de ces procès ont déposé des demandes de récusation contre les présidents des tribunaux pénaux ou contre l'ensemble du Strafgericht de Bâle-Ville. Ils ont en outre demandé que toutes les procédures « Basel nazifrei » soient transférées au Strafgericht de Bâle-Campagne, ou éventuellement au tribunal pénal d'un autre canton.
  • Par décision du 18 février 2022, l'Appellationsgericht de Bâle-Ville a accepté l'une des demandes de récusation susmentionnées et a rejeté toutes les autres requêtes. Onze des personnes accusées ont recouru au Tribunal fédéral qui a admis certains recours et renvoyé les affaires à l'instance précédente pour nouveau jugement.
  • Dans le cadre du réexamen, l'instance précédente a copié dans sa décision du 3 août 2023 les passages des documents qui présenteraient d'une manière ou d'une autre un lien avec les « Basel-nazifrei-Fällen ».
  • Les Recourants ont saisi le Tribunal fédéral et ont demandé que cette décision soit annulée et qu'il soit ordonné en lieu et place à l'instance inférieure de leur communiquer l'intégralité des documents auxquels le Strafgericht de Bâle-Ville s'était référé pour qu'ils puissent « consulter le dossier dans son intégralité et sans restriction ».
  • Le Tribunal fédéral a qualifié la décision du 3 août 2023 de décision incidente en matière d'organisation de la procédure de récusation au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, contre laquelle un recours était recevable s'il existait un préjudice irréparable (consid. 2.1).
  • Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une restriction de l'accès au dossier ne cause en principe pas de préjudice irréparable, car elle peut – comme le refus d'une demande de preuve ou tout autre refus du droit d'être entendu – être valablement contestée lors du recours contre la décision finale (consid. 2.3).
  • Compte tenu de l'objectif du législateur de favoriser le traitement des demandes de récusation, le Tribunal fédéral a considéré qu'il se justifiait d'appliquer de manière particulièrement restrictive l'exigence d'un préjudice irréparable concernant les décisions d'organisation de la procédure de récusation, en particulier dans la mesure où l'administration de moyens de preuve ou l'octroi de l'accès au dossier qui y est lié sont en cause (consid. 2.4).
  • Partant, les recours ont été déclarés irrecevables.

TF 7B_173/2022 du 23 octobre 2023 | Disproportion dans l'apposition des scellés sur le téléphone portable de la partie plaignante plutôt que sur celui du prévenu

  • Le Ministère public du canton de Schaffhouse a mené une procédure pénale contre A. à qui il était reproché d'avoir interdit à son ancienne partenaire d'avoir des contacts avec ses amis et sa famille, de l'avoir enfermée à plusieurs reprises pendant plusieurs heures dans son appartement et de l'avoir surveillée. Le 4 octobre 2021, le Ministère public a requis la levée des scellés portant sur le téléphone portable de A. saisi lors d'une perquisition à son domicile, laquelle a été refusée.
  • L'instance inférieure a considéré que la levée des scellées était disproportionnée et a envisagé que les autorités pénales demandent à la partie plaignante, qui avait déjà fait preuve de « volonté de coopérer », de mettre volontairement son téléphone portable à leur disposition à des fins d'enquête. Une telle demande aurait été préférable en vertu du principe de subsidiarité. Selon la cour cantonale, comme il n'était pas clair avec quels moyens A. aurait surveillé la partie plaignante et s'il avait utilisé à cet effet le téléphone portable saisi, l'enquête pénale aurait pu se limiter au téléphone portable de la partie plaignante (consid. 4.1).
  • Le Ministère public estimait au contraire que, puisque les mesures de contrainte devaient être dirigées en premier lieu contre la personne accusée, la demande de l'instance précédente de se procurer les données en question auprès de la partie plaignante était contraire au droit. De plus, cela ne conduirait pas au même résultat en matière de preuves : une application de tracking n'est généralement pas visible sur le téléphone portable de la personne surveillée et seul l'appareil de la personne surveillante permet de savoir quelles fonctions sont surveillées en détail (données de localisation, caméra, utilisation d'applications, etc.) (consid. 4.2).
  • Le Tribunal fédéral a considéré que l'instance précédente avait méconnu les principes en matière de mesures de contrainte. Ainsi, notre Haute Cour a validé le raisonnement du Ministère public qui avait exposé de manière compréhensible qu'au moins une partie des informations recherchées ne se trouveraient vraisemblablement que sur le téléphone portable saisi. Cela valait en particulier pour les éventuels messages que A. aurait échangé avec des tiers, les éventuels outils de surveillance installés sur le téléphone mobile (comme les applications de tracking) ou les résultats de surveillance qui y étaient enregistrés (comme les enregistrements de la partie plaignante) (consid. 4.4).
  • Dans ces circonstances, le recours a été admis, l'instance précédente ne pouvant pas nier la proportionnalité de la levée des scellés sur le téléphone mobile saisi (consid. 4.5).

TF 6B _821/20211 du 6 septembre 2023 | Inexploitabilité de preuves découvertes fortuitement (art. 244 et 243 CPP) – infractions à la LCR (art. 90 al. 3 et al. 4 let. b et c LCR, 90 al. 2 LCR, 95 al. 1 let. b LCR)

  • Le Recourant a été reconnu coupable de plusieurs infractions (art. 90 al. 3 et al. 4 let. b et c LCR, art. 90 al. 2 LCR, art. 95 al. 1 let. b LCR ainsi que d'autres infractions diverses de la LCR, du CP et du droit pénal cantonal en matière de contraventions). La procédure a son encontre a été engagée à la suite de la découverte fortuite de vidéos le montrant adopter une conduite dangereuse. Ces enregistrements ont été saisis à la suite d'une perquisition au domicile du père du Recourant. Ce dernier avait été arrêté par la police pour avoir circulé hors localité avec sa moto à une vitesse de 164 km/h au lieu des 80 km/h autorisés (selon le relevé du contrôle laser).
  • Le Recourant s'est opposé à sa condamnation au motif que la saisie des enregistrements ne remplissait pas les conditions de l'art. 243 al. 1 CPP (découvertes fortuites) et était en réalité une « fishing expedition ».
  • Le Tribunal fédéral a rappelé la différence entre la découverte fortuite et la « fishing expedition ». Une telle manSuvre existe lorsqu'une mesure de contrainte n'est pas fondée sur des soupçons suffisants, mais que les preuves sont recueillies au hasard ou sans planification. Les résultats des recherches de preuves ne sont en principe pas exploitables (consid. 1.3.1).
  • Notre Haute Cour a considéré que la perquisition à l'encontre du père du Recourant n'était ni appropriée, ni nécessaire pour recueillir d'autres preuves concernant son infraction. L'acte (c'est-à-dire l'excès de vitesse) et la qualité d'auteur du père étaient déjà évidents. Selon le rapport de police, le père avait été interpellé immédiatement après la mesure au laser, c'est-à-dire « en flagrant délit », et avait été arrêté provisoirement à 15h01. Son téléphone portable lui avait notamment été retiré sur place. Les considérants de l'instance précédente ne permettaient pas de comprendre comment les autorités d'instruction auraient pu trouver, à son domicile, le jour même, d'autres preuves de la course de vitesse, déjà suffisamment documentée, d'autant plus que le père n'avait pas pu se rendre à son domicile et y déposer d'éventuels moyens de preuve à la suite de son arrestation immédiate après l'infraction mentionnée. En outre, il n'y avait pas d'indices concrets et importants permettant de soupçonner suffisamment le père d'avoir commis d'autres infractions routières (consid. 1.4.1).
  • La perquisition étant illicite, il convenait ensuite de s'interroger sur l'exploitabilité des vidéos trouvées au domicile du père (art. 141 al. 2 CPP).
  • Concernant les violations multiples de l'art. 90 al. 3 et al. 4 let. b et c LCR, le Recourant avait mis en danger le bien juridique de la sécurité routière ainsi que le bien juridique de la vie. Au vu des circonstances, il convenait de retenir des infractions graves dont l'élucidation devait primer sur l'intérêt privé du Recourant à ce que les enregistrements vidéo en question soient inexploitables (consid. 1.5.3).
  • S'agissant de la conduite sans autorisation (art. 95 al. 1 let. b LCR), le Tribunal fédéral a également retenu la commission d'une infraction grave et conclu à l'exploitabilité des vidéos (consid. 1.5.4.2).
  • Quant à la violation de l'art. 90 al. 2 LCR, elle n'était pas considérée jusqu'à présent comme une infraction grave au sens de l'art. 141 al. 2 CPP (consid. 1.5.4.1 et 1.5.4.2).
  • Le Tribunal fédéral est toutefois revenu sur cette jurisprudence : un dépassement non conforme aux prescriptions et la conduite sur la voie opposée à un endroit sans visibilité devait être considéré comme une infraction grave si bien que les preuves recueillies devaient être retenues comme étant exploitables (consid. 1.5.4.1 et 1.5.4.2).
  • Pour les autres violations des règles de la circulation, elles n'ont pas été qualifiées d'infractions graves au sens de l'art. 141 al. 2 CPP. Même si les nombreux dépassements de vitesse en et hors localité étaient parfois assez importants, ils s'étaient déroulés sans incident particulier. Dans le cadre de ces accusations, l'intérêt privé du Recourant à ce que les preuves en question soient inexploitables primait sur l'intérêt public à la recherche de la vérité (consid. 1.5.4.3).
  • En conclusion, le recours a été partiellement admis en raison de l'inexploitabilité partielle des enregistrements vidéo.

TF 6B_536/2023 du 2 octobre 2023 | Expulsion du territoire vers l'Erythrée confirmée pour tentative de viol (art. 66a CP)

  • Le Recourant, reconnu coupable de tentative de viol, a contesté son expulsion du territoire suisse (art. 66a al. 1 let. h CP) en se prévalant de la clause de rigueur prévue à l'art. 66a al. 2 CP.
  • Le Tribunal fédéral a confirmé le raisonnement de la cour cantonale qui a considéré que la clause de rigueur ne trouvait pas application. S'il était vrai que le Recourant présentait un certain niveau d'intégration dans le tissu social et économique du canton du Valais (scolarité et formation professionnelle effectuées en Suisse, emploi stable, bonne maîtrise du français, parents, frères et sSurs résidant en Suisse), il n'apparaissait pas qu'il ait développé en Suisse, et particulièrement en Valais, un réseau social en dehors de son cercle familial. Ses nombreux antécédents pénaux et sa présente condamnation pénale pour tentative de viol montraient qu'il ne faisait guère cas de l'ordre public suisse. Par ailleurs, l'expulsion du Recourant n'entraînerait pas une atteinte à sa vie familiale puisque l'épouse, également d'origine érythréenne, ne disposait pas d'un droit de séjour durable en Suisse qui soit indépendant de celui de son époux (art. 43 LEI) et que, dans tous les cas, elle pouvait le suivre en Erythrée, avec leur enfant qui n'était pas encore scolarisé (consid. 3.3. et 3.4).
  • Ainsi, l'intérêt public à l'expulsion du Recourant l'emportait sur son intérêt à demeurer en Suisse, compte tenu de la gravité de l'infraction commise (infraction contre l'intégrité sexuelle) et de la peine à laquelle il avait été condamné (peine privative de liberté de vingt mois) (consid. 3.3. et 3.4).
  • Partant, le recours a été rejeté.

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

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III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

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IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

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V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

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Footnote

1. Destiné à publication.

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