Clauses de non-concurrence au Québec : employeurs, mieux vaut très bien définir le travail interdit dans vos contrats

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McCarthy Tétrault LLP

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Dernièrement, la Cour supérieure a émis une mise en garde importante aux employeurs faisant affaire au Québec concernant les clauses de non‑concurrence incluses dans les contrats de travail : mieux vaut très...
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Dernièrement, la Cour supérieure a émis une mise en garde importante aux employeurs faisant affaire au Québec concernant les clauses de non‑concurrence incluses dans les contrats de travail : mieux vaut très bien définir le type d'emploi interdit, sous peine que la clause de non‑concurrence soit déclarée abusive et de s'exposer à être condamné à payer les honoraires d'avocats de l'employé au moment d'en demander l'application par le tribunal.

Retour sur le jugement rendu dans l'affaire Jutras c. La Presse (2018) inc., 2023 QCCS 2506

En effet, dans cette affaireLa Presse »)1, la Cour supérieure a non seulement confirmé l'invalidité de la clause de non-concurrence en raison de son manque de spécificité concernant les activités visées, mais elle a également condamné l'employeur à rembourser près de 200 000 $ en honoraires pour en avoir demandé l'application dans le cadre de procédures judiciaires.

Essentiellement, la Cour supérieure reproche à l'employeur d'avoir abusé de son droit d'ester en justice, car il était évident, selon elle, que la clause de non-concurrence ne répondait pas aux critères de validité d'ordre public énoncés à l'article 2089 du Code civil du Québec, soit qu'elle soit limitée quant au temps, au lieu et, surtout, au genre de travail, à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l'employeur. Ici, la clause interdisait de travailler « de quelque manière que ce soit » dans une autre entreprise impliquée dans la vente d'espace publicitaire.

Or, après avoir été débouté une première fois sur la base de l'invalidité apparente de cette clause au stade de l'injonction interlocutoire provisoire, l'employeur aurait franchi la ligne de l'abus de procédure, aux yeux du tribunal, en persistant à tenter de vouloir en demander l'application au stade de la demande d'émission d'une ordonnance de sauvegarde, dont le contenu était identique à celle demandée dans le cadre des procédures judiciaires antérieures dans la même affaire. Selon la Cour, une personne raisonnable n'aurait pas fait preuve d'une telle témérité et se serait au contraire abstenue d'intenter de telles procédures. En fait, de l'avis de la Cour, l'employeur aurait dû voir dès le départ qu'il n'existait pas même une apparence de droit en raison de l'interdiction trop large quant à la nature du travail prohibé en vertu de la clause de non‑concurrence.

Pourtant, il appert d'une analyse de la jurisprudence antérieure pertinente quant à cette question que le positionnement des tribunaux québécois est loin d'être unanime.

Deux courants jurisprudentiels sur la précision du genre de travail interdit en vertu d'une clause de non-concurrence

  1. La clause est valide même en l'absence de précision relativement au type de travail

En effet, il est intéressant de référer à un premier courant jurisprudentiel qui reconnaît la validité des clauses de non-concurrence qui visent les activités interdites de manière générale, sans spécificité particulière quant à la nature du travail prohibé. Selon cette approche, la validité et le caractère raisonnable de la clause de non-concurrence doivent être appréciés globalement à la lumière de la relation entre les parties et des circonstances dans lesquelles elle a été stipulée.

La décision de principe rendue par la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Ubi Soft Divertissements Inc. c. Champagne-Pelland [Ubi Soft] en 2003 illustre bien le cadre d'analyse associé à ce premier courant :

  • Cette décision concernait d'anciens concepteurs de jeux vidéo d'Ubi Soft qui avaient rejoint un concurrent après avoir quitté leur emploi.
  • Les contrats de travail de ces employés comportaient des clauses de non-concurrence les empêchant de « travailler» directement ou indirectement pour toute entreprise fabriquant ou commercialisant des produits vidéo pouvant entrer en concurrence, et ce, pour une période d'un (1) an après la fin de leur emploi.
  • Bien que la clause n'imposait aucune restriction particulière quant à la nature des services pouvant être rendus par ces employés, elle a été jugée valide à première vue au stade de la demande d'ordonnance de sauvegarde.

À l'évidence, il faut prendre pour acquis qu'il s'agit d'un enjeu que la Cour d'appel du Québec ne pouvait ignorer. D'autres décisions au même effet ont par la suite été rendues, et ce, à plusieurs reprises.

À titre d'exemple, cette perspective large a été appliquée dans un autre arrêt de la Cour d'appel en 2005, en l'occurrence l'affaire Lemieux c. Marsh Canada Ltée [Lemieux] :

  • La clause de non-concurrence en litige stipulait que l'employé s'était notamment engagé à ne pas « se lier [à titre] d'employé» ou à « accorder [...] toute autre aide quelconque » pour des concurrents de l'Employeur.
  • La Cour d'appel a conclu que la clause était valide, raisonnable et nécessaire dans les circonstances en l'évaluant dans son ensemble.

Plus récemment, en 2019, la Cour supérieure a pareillement avalisé cette interprétation permissive dans l'affaire Groupe PPD inc. c. Valois [PPD] :

  • Par la clause de non-concurrence en cause, l'employé avait souscrit à l'obligation suivante : « [...] je conviens et m'engage à ne pas [...] de quelque façon que ce soit [...] à quelque titre que ce soit faire affaire, être impliqué, être employé ou avoir un intérêt dans des activités ou dans une entreprise ayant des activités qui sont les mêmes que celles de la Compagnie [...] ».
  • L'employé en question était un ingénieur mécanique qui avait travaillé chez PPD comme directeur d'une usine de moulage par injection au moment de son départ.
  • Malgré les représentations des défendeurs voulant que l'objet de la clause était trop large et de nature à les empêcher même d'agir à titre de concierge, commis, réceptionniste, comptable ou adjoint administratif, la Cour supérieure a jugé que l'objet de la clause était au contraire suffisamment déterminable pour que la clause soit valide, à tout le moins, à première vue dans le cadre de l'analyse au stade interlocutoire et provisoire.

À la lumière de ce premier courant jurisprudentiel selon lequel une clause de non-concurrence peut être jugée valide même lorsqu'elle ne limite pas avec exactitude tous les services que l'employé ne peut pas fournir à un concurrent, il est pour le moins surprenant de constater la conclusion d'abus de procédure de la Cour supérieure dans l'affaire La Presse mentionnée précédemment.

  1. La clause est invalide si l'interdiction relative au type de travail est trop large

Ceci étant dit, il est exact qu'antérieurement à la décision initialement rendue dans l'affaire La Presse, il existait effectivement un deuxième courant jurisprudentiel suggérant que la validité et/ou l'applicabilité d'une clause de non-concurrence pouvait dépendre de l'existence de précisions suffisantes quant à la nature des activités restreintes.

À titre d'exemple, il est possible de référer à la décision rendue en 2017 dans l'affaire PCM Sales Canada Inc. c. Botero-Rojas [PCM] :

  • Ici, la clause en question empêchait les employés de travailler dans le domaine de « la vente, la promotion, la recherche d'objectifs stratégiques, la mise en vigueur de services et l'externalisation (outsourcing)» de technologies de l'information pendant une période de douze (12) mois.
  • Le tribunal a considéré que cette clause était trop large par rapport aux intérêts légitimes que l'ancien employeur cherchait à protéger, étant donné l'absence de précision relativement aux activités spécifiques interdites en vertu de celle-ci.
  • Par conséquent, dans cette affaire, le tribunal a statué en faveur du droit de travailler des employés concernés.

La Cour supérieure avait utilisé un raisonnement analogue en 2016 dans l'affaire Diffusions Nu‑Book inc. c. Bastien [Nu-Book] :

  • La clause de non-concurrence intimait l'employé « [...] de ne pas [...] de quelque autre manière que ce soit, s'engager, s'intéresser dans, exploiter ou conseiller [...] toute partie qui [...] participe à l'exploitation de tout autre commerce dans lequel l'employeur pourrait être impliqué au moment où l'employé cesse d'être employé».
  • Le tribunal a estimé que l'interdiction de tout travail dans le domaine visé constituait un éventail trop vaste qui mettait à mal la validité de la clause.
  • Refusant d'émettre l'injonction interlocutoire, la Cour supérieure a conclu : « [qu']une personne liée par une clause de non-concurrence doit aussi savoir ce qui lui est interdit de faire avec une certaine précision».

Singularité du cas La Presse

Compte tenu de ce qui précède, il est permis de se questionner relativement au fondement de la décision rendue dans l'affaire La Presse où la Cour supérieure est allée encore plus loin en déclarant l'employeur aurait agi abusivement et en le condamnant à payer les honoraires de l'ancien employé au montant de près de 200 000 $. Avec égards, nous sommes d'avis que la Cour supérieure aurait pu en arriver à une conclusion différente relativement à la validité même de la clause de non-concurrence en question.

Outre les particularités procédurales et factuelles qui lui sont propres, cette décision se démarque clairement des autres de par la sévérité de la position prise contre l'employeur qui demandait l'application d'une clause de non-concurrence.

Ainsi, le risque catégorique, soulevé par la décision rendue dans l'affaire La Presse, qu'un employeur puisse être considéré avoir agi abusivement s'il ne constate pas « d'emblée » les faiblesses d'une clause de non-concurrence avant d'en demander l'application au tribunal ne peut malgré tout évidemment pas être ignoré.

Points pratiques à retenir

La décision rendue dans l'affaire La Presse constitue donc une bonne occasion de rappeler l'importance pour les employeurs d'adopter les meilleures pratiques en matière de rédaction de contrats de travail et, surtout, de clauses de non-concurrence :

  • Personnaliser les clauses de non-concurrence selon les rôles et responsabilités spécifiques de chaque poste. Pour maximiser les chances de pouvoir demander avec succès l'application de ces clauses devant les tribunaux, les employeurs ont tout avantage à les adapter aux fonctions particulières de chaque poste et même de chaque employé. Chaque cas doit être adapté selon ses propres faits.
  • Réviser et mettre à jour périodiquement les modèles de contrats de travail. Les contrats de travail, y compris les clauses de non-concurrence, devraient faire l'objet d'une révision régulière.
  • Rédiger des limitations temporelles et géographiques claires. Les clauses de non‑concurrence doivent non seulement être bien limitées quant au genre de travail restreint, mais également quant au temps et au lieu, et ce, uniquement pour ce qui strictement nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l'employeur. Toute ambiguïté ou exagération peut compromettre la validité et l'applicabilité de ces clauses devant les tribunaux du Québec.

Nous vous invitons à communiquer avec un membre de notre groupe national de droit du travail et de l'emploi pour vous accompagner dans la révision de vos contrats de travail et de vos clauses de non-concurrence.

Footnote

1 Cette décision n'a fait l'objet d'aucun appel ou révision judiciaire.

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