Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 6B_620/2022 du 30 mars 2022 | Circonstances atténuantes – manifestant pour le climat (art. 47 let. a ch. 1 et 2, 47 let. c CP)

  • L'Intimé a été poursuivi pour avoir, lors d'une marche pour le climat, maculé de peinture et de tracts la façade du bâtiment d'une banque. De très nombreuses mains, formées de peinture rouge, ont été apposées sur les murs, les rideaux métalliques et les plaques d'identification du bâtiment. Selon les manifestants, ces mains rouges symbolisaient le sang des différentes victimes du réchauffement climatique et l'apposition de celles-ci sur le bâtiment de la banque devait permettre de désigner les coupables. Par cette action, l'Intimé et les autres manifestants entendaient amener la banque à réduire ses investissements dans les énergies fossiles.
  • La Chambre pénale d'appel et de révision du canton de Genève a condamné l'Intimé pour dommage à la propriété à une amende de CHF 100.-. L'Intimé a été mis au bénéfice des circonstances atténuantes des art. 47 let. a ch. 1 (mobile honorable), 47 let. a ch. 2 (détresse profonde) et 47 let. c (profond désarroi) CP. Le Ministère public a recouru contre cette
  • Concernant le mobile honorable (art. 47 let. a ch. 1 CP), le Tribunal fédéral a indiqué qu'il n'était pas contestable que les enjeux liés aux effets néfastes du dérèglement climatique et à la nécessité d'adopter rapidement des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, devaient être reconnus, de nos jours, comme une préoccupation des plus respectables dans notre société démocratique et qu'il convenait dès lors de reconnaître un caractère idéaliste, altruiste et partant respectable sur le plan éthique aux actions politiques menées par les militants du climat, en tant qu'elles visaient à sensibiliser la population sur les conséquences néfastes du changement climatique et sur la nécessité d'y faire face par l'adoption de mesures nouvelles, y compris sur le plan de la réglementation bancaire et financière. Toutefois, notre Haute Cour a reproché à l'Intimé la nature radicale de ses slogans qui reflétaient, outre les préoccupations climatiques, une critique peu nuancée de la liberté économique ou encore du droit de propriété privée. Selon le Tribunal fédéral, les valeurs protégées par l'art. 47 let. a ch. 1 CP doivent rester neutre sur l'échelle des valeurs, ce qui n'était pas le cas en l'espèce (consid. 1.3.5 s.).
  • Malgré la détresse et l'angoisse ressenties par l'Intimé face au dérèglement climatique et l'inaction de la banque, ni la détresse profonde (art. 47 let. a ch. 2 CP), ni le profond désarroi (art. 47 let. c CP) ne pouvaient entrer en considération en raison de l'existence d'autres moyens permettant d'attirer l'attention sur la problématique (consid. 1.4.3 s.).

TF 1B_174/2023 du 21 avril 2023 | Dépassement du délai de 96 heures pour requérir la mise en détention provisoire (art. 224 al. 2 et 226 al. 1 CPP)

  • En matière de détention provisoire, le Ministère public possède un délai de 48 heures pour requérir une mise en détention (art. 224 al. 2 CPP) et le Tribunal des mesures de contrainte doit quant à lui se déterminer sur cette requête dans les 48 heures (art. 226 al. 1 CPP). Ce délai de 96 heures au total doit impérativement être respecté par les autorités pénales et ce peu importe que le délai se déroule sur un week-end ou que le défenseur du prévenu ne soit pas joignable (consid. 2.4).
  • En cas de dépassement de ce délai, le principe de célérité est violé et la détention est considérée comme illicite.

TF 1B_473/2022 du 12 avril 2023 | Levée des scellés et devoir de motivation (art. 248 CPP)

  • Le Recourant ne contestait pas devant le Tribunal fédéral l'admissibilité de principe de la fouille de son téléphone portable. Il contestait toutefois la décision entreprise dans la mesure où il avait été renoncé à retirer de la procédure la correspondance entre le Recourant et son avocat. Le Recourant était d'avis qu'en indiquant que la correspondance électronique entre lui-même et son défenseur se trouvait sur son téléphone portable et était protégée par le secret professionnel de l'avocat, il avait suffisamment satisfait à son obligation de motivation à cet égard, raison pour laquelle la décision entreprise violait l'art. 248 CPP (consid. 2).
  • L'instance précédente avait considéré que le Recourant n'avait fait valoir que de manière globale que la correspondance du défenseur se trouvait sur le téléphone portable, sans toutefois exposer où celle-ci était précisément enregistrée. Certes, il faisait valoir que la correspondance avait surtout eu lieu par e-mail. Toutefois, son défenseur n'indiquait pas l'adresse électronique utilisée pour communiquer avec le Recourant. Il n'indiquait pas non plus de mots-clés qui auraient permis de rechercher la correspondance en question avec l'avocat dans les données enregistrées. L'instance cantonale avait ainsi considéré que des descriptions aussi vagues ne satisfaisaient pas à l'obligation de motivation incombant au Recourant dans la procédure de levée des scellés, raison pour laquelle le téléphone portable devait être entièrement mis à la disposition pour perquisition (consid. 3.2).
  • Le Tribunal fédéral n'a pas approuvé l'approche développée par l'instance inférieure (consid. 3.3).
  • Notre Haute Cour a déclaré que l'obligation procédurale de motiver suffisamment les intérêts au secret invoqués n'était pas une fin en soi, mais devait permettre au Tribunal des mesures de contrainte de procéder à un tri approprié et ciblé. Dans le contexte de l'invocation du secret professionnel de l'avocat, il suffit donc, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, de connaître l'emplacement des fichiers protégés par le secret professionnel et les noms des avocats. Pour que le secret professionnel de l'avocat soit suffisamment étayé, il faut en outre qu'un rapport de représentation effectif de l'avocat soit démontré de manière plausible pour la période de perquisition décrite par le Ministère public (consid. 3.3.1).
  • In casu, le Recourant avait certes donné des indications relativement générales sur le lieu de stockage et la nature de la correspondance d'avocat protégée lorsqu'il avait simplement indiqué qu'il communiquait par courriel avec son défenseur, qui le représente également depuis avril 2021 dans une autre procédure pénale. Le Tribunal fédéral a cependant relevé que comme le Recourant l'avait fait valoir à juste titre, il avait exprimé par ces affirmations de manière suffisamment claire que la correspondance du défenseur en question se trouvait sur l'application de messagerie de son téléphone portable (consid. 3.3.2).
  • Dès lors, notre Haute Cour a conclu que le Recourant s'était suffisamment acquitté de son obligation de motiver sa demande de mise sous scellés de son téléphone portable (consid. 3.3.2).
  • Partant, le recours a été admis, si bien qu'avant d'autoriser la fouille du téléphone portable saisi, l'instance inférieure devra, en effectuant un tri, séparer la correspondance éventuelle de la défense qui s'y trouve (consid. 4).

TF 6B_768/2022 du 13 avril 2023| Exploitabilité des preuves – vidéosurveillance

  • Le recours porte sur l'admissibilité, dans le cadre d'une procédure pénale, d'un enregistrement par caméra de vidéosurveillance se trouvant dans un magasin, mais filmant le domaine public.
  • Le Recourant faisait valoir qu'il était impossible d'affirmer que la caméra qui se trouvait à l'intérieur du magasin était visible par les piétons depuis l'extérieur. Selon lui, l'angle de vue de la caméra était si vaste, qu'il aurait fallu, pour que son installation soit jugée licite, que toutes les personnes potentiellement filmées puissent savoir qu'elles l'étaient. Les autocollants n'auraient pas non plus été identifiables au vu de la distance comprise dans le champ de la caméra (consid. 1.6.1).
  • Le Tribunal fédéral a rappelé que la vidéo surveillance doit être transparente, c'est-à-dire clairement reconnaissable (art. 4 al. 4 LPD). Les personnes doivent être informées qu'elles sont filmées avant qu'elles ne pénètrent dans le champ de la caméra (consid. 1.6.1).
  • En première instance, le Juge de police de l'arrondissement de la Sarine avait constaté que la caméra qui se trouvait à l'intérieur du magasin n'était pas visible depuis la rue et qu'elle permettait de filmer les personnes passant devant la vitrine du magasin et de l'autre côté de la rue, sans que ces dernières ne le sachent. En deuxième instance, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal fribourgeois s'est écarté des constatations du juge de première instance, en retenant, sans autre motivation, que « la présence de la caméra était clairement indiquée sur la vitrine et que cette indication était visible depuis l'extérieur. Le prévenu pouvait donc non seulement percevoir les autocollants indiquant l'existence de l'installation, mais devait également s'attendre à se trouver en présence d'un tel dispositif à proximité d'un magasin ». Elle en a conclu que les enregistrements effectués respectaient le principe de transparence (consid. 1.6.1).
  • En l'absence de tout élément relatif à la grandeur des autocollants et au champ de la caméra, notre Haute Cour n'a toutefois pas été en mesure de déterminer si les personnes pouvaient voir la caméra de surveillance avant qu'elles n'entrent dans le champ de la caméra et donc si, conformément à l'art. 4 al. 4 LPD, la collecte de données était reconnaissable. Les faits nécessaires à l'application de la LPD n'étant pas constatés, l'arrêt attaqué était contraire au droit fédéral. Le recours a donc été admis sur ce point et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu'elle complète l'état de fait (consid. 1.6.1).
  • Le Recourant a également contesté la proportionnalité des enregistrements de la caméra (consid. 1.6.2).
  • La vidéosurveillance doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 4 al. 2 LPD). Ce principe exige tout d'abord que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude). Il faut aussi que le but visé ne puisse pas être atteint par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). Enfin, le principe de la proportionnalité interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (proportionnalité au sens étroit). Ainsi, la vidéosurveillance doit être pratiquée que si d'autres mesures moins attentatoires à la vie privée, comme un verrouillage supplémentaire, le renforcement des portes d'entrées ou un système d'alarme, s'avèrent insuffisantes ou impraticables (consid. 1.6.2).
  • En deuxième instance, il a été retenu que les enregistrements effectués se justifiaient par un intérêt de protection de la boutique et qu'ils étaient proportionnés au but visé, ajoutant que l'intérêt à la sauvegarde de la sécurité du magasin primait l'intérêt des personnes privées à ne pas être filmées dès lors qu'elles empruntaient un passage privé (consid. 1.6.2).
  • Le Tribunal fédéral a constaté que l'arrêt attaqué ne donnait aucune information sur le commerçant du magasin dans lequel se trouvait la caméra, ni sur la valeur des marchandises vendues. En l'absence d'informations sur ces points, il n'était pas possible d'effectuer une pesée des intérêts. En outre, s'agissant du champ de la caméra, la Cour d'appel s'était écartée sans aucune motivation du jugement de première instance, affirmant que le Recourant empruntait un passage sis sur une parcelle privée lorsqu'il a été filmé et que les personnes cheminant sur le domaine public n'étaient pas reconnaissables. Ces affirmations sont toutefois contraires aux indications contenues dans le Registre foncier qui indique le caractère public du passage litigieux. Enfin, la juridiction de deuxième instance n'avait pas analysé si d'autres mesures de protection moins incisives, telles qu'un système d'alarme ou une porte renforcée, auraient été éventuellement envisageables (consid. 1.6.2).
  • Partant, au vu de l'état de fait lacunaire et de l'absence de motivation, le Tribunal fédéral n'a pas pu déterminer si la vidéosurveillance se trouvant dans le magasin était apte et nécessaire à la protection de la boutique et, partant, si le principe de la proportionnalité était respecté. Le recours a donc également été admis pour ce motif et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu'elle complète l'état de fait et motive sa décision (consid. 1.6.2).

TF 1B_208/2022 du 14 avril 2023 | Mise sous scellés du matériel appartenant à un avocat prévenu, invocation de son secret professionnel

  • Lorsqu'un avocat est lui-même prévenu et que des supports lui appartenant sont séquestrés, il ne peut invoquer le secret de l'avocat afin de maintenir les scellés que dans la mesure où les données à déclassifier n'ont pas de lien matériel avec l'enquête en cours contre lui (consid. 5.3).

TF 1B_584/2022 du 52 avril 2023 | Interdiction de postuler d'un défenseur laïc

  • Dans le cadre d'une procédure pénale, les Recourants avaient requis, par l'intermédiaire de leur conseil, que E. puisse les assister lors d'auditions de personnes appelées à donner des renseignements. L'Intimé s'était opposé à cette requête, soutenant notamment que la précitée ne pouvait être assimilée à un conseil juridique, car elle était dépourvue du brevet d'avocat. Dans le cadre de la procédure pénale, elle avait en outre également été entendue en tant que témoin, ayant alors été confrontée au prévenu.
  • Le recours est dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale au cours d'une procédure pénale, laquelle interdisait à E. d'assister et/ou de représenter, en tant que conseil laïc, les Recourants dans la procédure pénale les opposant à l'Intimé (consid. 1).
  • Les Recourants se plaignaient d'une violation de l'art. 127 CPP. Ils reprochaient à cet égard à l'autorité précédente d'avoir considéré que la LLCA – soit en particulier les règles professionnelles s'y trouvant – s'appliquait aux conseils laïcs (consid. 2).
  • Le Tribunal fédéral a déclaré que l'art. 6 al. 1 de la loi vaudoise sur la profession d'avocats (LPav-VD) n'instituait aucun monopole des avocats en matière pénale (consid. 2.3).
  • En outre, E. n'étant pas titulaire d'un brevet d'avocat, elle ne pouvait pas s'inscrire en tant qu'avocate au registre cantonal des avocats. Ce faisant, notre Haute Cour a déclaré que E. n'était pas soumise à la LLCA, puisqu'elle ne remplissait pas les conditions du champ d'application de la loi (consid. 2.4).
  • Notre Haute Cour a finalement examiné si son changement de statut – de témoin à conseil laïc – au cours de la procédure aurait pu constituer un comportement contraire à la bonne foi (consid. 3).
  • Précédemment dans la procédure, E. avait été auditionnée comme témoin, car elle avait été mandatée comme experte privée, et non comme experte judiciaire au sens des art. 182 ss CPP. Ses mandats n'étaient donc soumis à aucune exigence en matière d'indépendance et d'impartialité, garanties que doit en revanche offrir un expert désigné par les autorités judiciaires. Le Tribunal fédéral a ajouté qu'il en allait de même de son mandat de conseil laïc ; cette tâche ne tendant pas à la défense d'intérêts divergents de ceux du précédent mandat, puisque E. continuait d'agir pour le compte des Recourants. Notre Haute Cour a finalement considéré qu'il n'y avait aucune incompatibilité absolue entre la défense et le témoignage. Cependant, E. ne pourrait se prévaloir du secret professionnel de l'avocat, son statut de défenseuse laïque l'obligeant à répondre de manière conforme à la vérité si elle venait à être auditionnée une nouvelle fois comme témoin. Le Tribunal fédéral a conclu qu'il appartenait en définitive aux Recourants de supporter le risque en choisissant un conseil laïc, mais que ce choix était possible (consid. 3.3).
  • Partant, le recours a été admis, en tant que l'instance précédente avait violé le droit fédéral en interdisant E. de se constituer comme conseil laïc des Recourants (consid. 4).

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

TF 6B_1084/2022 du 5 avril 2023 | Qualité de gérant dans le cadre de la gestion déloyale - prétentions civiles des parties plaignantes

  • La Recourante a été condamnée pour gestion déloyale qualifiée multiple et d'autres infractions à l'encontre de ses anciens employeurs par le Tribunal pénal zougois. L'Obergericht du canton de Zoug a partiellement confirmé la décision de première instance et renvoyé les prétentions civiles des parties plaignantes B. AG et B. Pte Ldt à la voie civile.
  • Premièrement, la Recourante a contesté le jugement de deuxième instance au motif qu'elle ne revêtait pas la qualité de gérante requise par l'art. 158 CP (consid. 4.1).
  • In casu, la Recourante était Senior Sales Manager et était responsable des ventes de minerais à l'internationale. Elle a nié son statut de gérante en arguant qu'elle n'était pas entièrement libre dans les négociations, car elle était limitée par les prix et les valeurs indicatives souhaitées par ses supérieurs. De surcroît, elle a indiqué qu'elle devait informer ses supérieurs et que ces derniers devaient toujours approuver les contrats qu'elle apportait (consid. 4.2).
  • Ces arguments n'ont su convaincre notre Haute Cour. En effet, le Tribunal fédéral a retenu que le poste de Senior Sales Manager de la Recourante était d'une importance non négligeable. Quant à la hiérarchie, la Recourante était directement subordonnée au CEO et au conseil d'administration. En outre, elle possédait une place importante dans la société et se trouvait être la supérieure de trois employés. Concernant ses fonctions, elles étaient de l'ordre de la direction et de la planification, ce qui excluait un poste de subalterne. De plus, elle négociait seule les contrats et était libre de fixer les quantités, les prix et les délais de livraison. Ses supérieurs ne faisaient que lui indiquer une fourchette de prix et n'avaient pour rôle que la signature des contrats qu'elle parvenait à négocier. Le Tribunal fédéral précise enfin que le fait que la Recourante ne possédait pas le droit de signature n'excluait pas automatiquement sa qualité de gérante (consid. 4.3).
  • Deuxièmement, s'agissant des griefs des parties plaignantes, celles-ci estimaient que la deuxième instance avait violé l'art. 126 CPP en renvoyant leurs prétentions à la voie civile. L'Obergericht avait estimé leur requête insuffisamment motivée (consid. 6.1).
  • Le Tribunal fédéral a tout d'abord indiqué que l'inculpation de la Recourante du chef de gestion déloyale obligeait le juge cantonal à statuer sur les prétentions civiles pour autant qu'elles soient suffisamment motivées et chiffrées (art. 126 al. 1 let. a CPP) (consid. 6.2.2).
  • In casu, les parties plaignantes avaient fourni des relevés de tous les paiements de commissions, avec les taux de conversion respectifs de dollars américains en francs suisses. En outre, elles avaient déposé une clé USB contenant tous les relevés, de sorte que les calculs auraient pu être vérifiés en détail (consid. 6.2.4).
  • Dès lors le Tribunal fédéral a jugé que l'instance précédente aurait dû entrer en matière sur les conclusions civiles, même si les faits ne lui semblaient pas en état d'être jugés (consid. 6.2.5).
  • Partant, le recours a été admis (consid. 7).

TF 6B_280/2022 et 6B_287/2022 du 14 avril 2023 | Perception de rétrocessions dans le cadre d'adjudication de chantiers, cas de gestion déloyale aggravée (art. 158 ch. 1 al. 1 et 3 CP)

  • L'administrateur de la société C. SA (« l'administrateur ») a mis en place un stratagème de concert avec huit autres personnes, consistant à abuser des prérogatives de gestion dont ceux-ci bénéficiaient auprès des diverses sociétés qui les employaient pour assurer l'adjudication régulière de travaux en sous-traitance à C. SA, en échange de rétrocessions indues. En diverses occasions durant la période incriminée, contrairement aux devoirs qui étaient les leurs, les huit individus ont volontairement omis de négocier à la baisse les prestations proposées par l'administrateur et permis l'adjudication puis le paiement, par la société qui les employait, de divers travaux réalisés par C. SA pour un prix supérieur à celui qu'ils auraient pu obtenir. Parallèlement, ils ont convenu avec l'administrateur du versement, en leurs mains, de rétrocessions en liquide, correspondant à une fraction du prix payé par la société qui les employait, oscillant généralement entre 10 % et 15 % de celui-ci, se montant parfois jusqu'à 20 %. Plutôt que de considérer les montants de ces rétrocessions comme des rabais octroyés par C. SA, les intéressés les ont gardés par-devers eux, au préjudice des sociétés qui les employaient.
  • Le Tribunal fédéral a rappelé que l'infraction de gestion déloyale n'est réalisée qu'en présence d'une véritable lésion du patrimoine, c'est-à-dire d'une diminution de l'actif, d'une augmentation du passif, d'une non-diminution du passif ou d'une non-augmentation de l'actif, ou d'une mise en danger de celui-ci telle qu'elle a pour effet d'en diminuer la valeur du point de vue économique. Seul le préjudice causé aux intérêts pécuniaires sur lesquels le gérant a un devoir de gestion ou de surveillance peut être pris en considération. L'éventuel préjudice subi par un tiers auquel le gérant ne serait pas lié par le rapport de gestion ne peut être considéré sous l'angle de l'art. 158 CP. Le dommage, qui n'a pas besoin d'être chiffré, existe lorsque le lésé a un droit protégé par le droit civil, notamment au sens de l'art. 41 CO, à la compensation du dommage subi (consid. 4.1.2.).
  • In casu, le Tribunal fédéral a confirmé l'appréciation des faits retenue par l'instance cantonale de dernière instance. Dès lors que les rétrocessions avaient été versées aux intéressés en raison de leur activité professionnelle en relation avec les adjudications pour des travaux payés par leur employeur, ils n'avaient pas le droit de percevoir personnellement les montants en question, qui revenaient à leurs employeurs. Ils leur incombaient d'informer ceux-ci et de leur reverser les rétrocessions perçues. Les huit protagonistes se trouvaient dans une position comparable, par analogie, à celle d'un travailleur qui perçoit des montants versés par un tiers qui auraient dû revenir à l'employeur en violation de son devoir de restituer, ou à celle d'un mandataire soumis à une obligation de fidélité à l'égard de son partenaire et tenu de lui rendre compte de toutes les sommes d'argent qu'il reçoit dans le cadre de son activité. De ce qui précède, le Tribunal fédéral a déduit que les huit protagonistes avaient le devoir de rendre compte aux sociétés adjudicatrices afin que ces dernières puissent leur réclamer les rétrocessions qu'ils avaient perçues sans droit et que, en ne le faisant pas, ils avaient porté atteinte aux intérêts pécuniaires de ces dernières et, partant, violé leur devoir de gestion, indépendamment de leurs bonnes performances à leur service (consid. 4.2).
  • S'agissant de l'existence d'un dommage, les importants montants versés à titre de rétrocessions aux différents protagonistes, négociés dans le cadre de leurs activités professionnelles et versés généralement après la fin des travaux en fonction des résultats du chantier, représentaient une charge significative pour la société adjudicatrice, qui les payait sans s'en rendre compte, alors qu'ils auraient normalement dû être déduits de la facture finale s'ils avaient rempli consciencieusement leur mission. Si les différents protagonistes avaient correctement défendu les intérêts de leurs employeurs, ils auraient été en mesure de négocier des tarifs plus favorables correspondant à un rabais d'au minimum 10 % sur les prestations des entreprises de l'administrateur, ce qu'ils ont omis volontairement de faire en négociant - avant l'adjudication des travaux - un accord prévoyant qu'un éventuel excédent de certaines marges réalisées par les sociétés dudit administrateur ou qu'un rabais supplémentaire ne bénéficierait pas à leurs employeurs mais à eux personnellement (consid. 4.2).
  • Le Tribunal fédéral a donc confirmé que les intéressés avaient bel et bien causé un dommage aux sociétés adjudicatrices, celles-ci s'étant appauvries à concurrence des montants touchés par eux (consid. 4.2).
  • Partant, les recours ont été rejetés et la condamnation pour gestion déloyale aggravée confirmée (consid. 9).

TF 6B_244/2021 et 6B_254/2021 du 17 avril 2023 | Prescription des délits fiscaux (art. 189 LIFD) – escroquerie (art. 146 CP) – gestion fautive (art. 165 CP)

  • L'Obergericht du canton d'Argovie a reconnu le Recourant coupable de plusieurs infractions notamment d'activité en tant que médecin sans autorisation (art. 53 al. 1 let. b de la loi sur la santé du canton d'Argovie (GesG/AG)), de faux dans les titres, d'escroqueries, d'infractions à la LIFD ainsi que de gestion fautive. L'Obergericht argovien a acquitté le Recourant pour infraction à la LIFD pour la période allant du 1e mars 2011 au 31 mars 2012. Le Recourant et le Ministère public ont contesté cette décision.
  • Le Ministère public a recouru contre le jugement de dernière instance estimant que l'instance précédente avait violé l'art. 189 LIFD en appliquant aux infractions contre cette loi les délais de prescription du code pénal. Le Tribunal fédéral a donné raison à l'autorité pénale au motif que les délais de prescription de l'action pénale prévus dans la LIFD priment ceux du CP. Par application de l'art. 189 LIFD, les infractions découlant de la LIFD n'étaient donc pas encore prescrites (consid. 2.3).
  • Le Recourant a remis en cause le verdict de l'instance cantonale quant à sa culpabilité pour escroquerie (art. 146 CP). Dans les faits, le Recourant avait traité trois patients, mais avait fait mentionner un ancien médecin salarié de sa société comme fournisseur de prestations dans la facture adressée à la caisse-maladie concernée, car il était conscient que les prestations n'auraient pas été couvertes s'il mentionnait son nom en raison du fait qu'il ne possédait pas d'autorisation d'exercer. Selon le Recourant, il appartenait aux caisses de vérifier les informations qu'elles recevaient (consid. 3.2).
  • Selon notre Haute Cour, les décomptes destinés aux caisses-maladie ont la qualité d'actes authentiques auxquels les caisses peuvent se fier. Elle a de surcroît ajouté qu'il existait une relation de confiance particulière entre les médecins et les caisses-maladie. Dès lors, pour ces raisons, il y avait bien eu tromperie astucieuse de la part du médecin recourant (consid. 3.4).
  • Finalement, le Recourant a contesté sa condamnation pour gestion fautive selon l'art. 165 CP. Selon la jurisprudence, il y a gestion fautive notamment lorsque les dispositions légales relatives à la gestion d'une entreprise ne sont pas respectées, telle que l'obligation d'informer le juge en cas de surendettement (art. 725 al. 2 CO). L'art. 165 CP requiert en outre l'ouverture de la faillite et une perte de patrimoine propre à atteindre les créanciers (consid. 4.3).
  • In casu, le Recourant siégeait au conseil d'administration de sa société et était donc débiteur au sens de l'art. 165 CP. Sa société a été poursuivie à plusieurs reprises pendant un an et à intervalles rapprochés pour un montant total de CHF 1'096'759.-. Il a également été reconnu coupable d'infractions multiples à la LAVS et à la LPP. Ses employés ne recevaient pas intégralement leurs salaires et certains étaient engagés depuis plusieurs mois sans avoir le matériel ou les locaux nécessaires à l'exercice de leur activité. Malgré cela, le Recourant continuait à engager de nouveaux médecins. De plus, le Recourant a manqué à son obligation d'établissement et de révision des comptes. Pour ces nombreuses raisons le Tribunal fédéral a considéré que le comportement du Recourant constituait bien une négligence au sens de l'art. 165 CP et était en outre à l'origine de l'aggravation de la situation financière de sa société. Notre Haute Cour a donc confirmé la culpabilité du Recourant quant à l'infraction de gestion fautive (consid. 4.4).

III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

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IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

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V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

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The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.