Dans les procédures de faillite, particulièrement dans des cas de gestion fautive par les dirigeants de la société faillie, la question de la responsabilité de la banque auprès de laquelle celle-ci avait ouvert ses comptes se pose fréquemment, avec la possibilité pour les créanciers de la faillite d'obtenir une réparation de leur dommage plus importante que ne pourrait le permettre les actifs des dirigeants.

Que les fondements juridiques de l'action contre la banque soient la responsabilité contractuelle pour le dommage causé, l'action en exécution ou l'enrichissement illégitime, il sera toujours nécessaire de prouver la mauvaise exécution du contrat ou l'absence de bonne foi de la banque. Les moyens de preuve seront usuellement la documentation contractuelle, la correspondance interne et externe de la banque, les notes d'entretien, les documents de due diligence (KYC), les profils de risque, etc. Le droit de procédure civile suisse ne permet toutefois qu'imparfaitement d'obtenir des moyens de preuves contre la banque en cours de procès en raison notamment du fardeau de l'allégation et des moyens qu'a la banque de refuser de coopérer à l'administration des preuves. Il n'existe en particulier pas de procédure de pre-trial discovery à l'anglo-saxonne.

Il est dès lors la plupart du temps nécessaire de faire précéder l'action au fond par une action en reddition de compte fondée sur l'article 400 du Code suisse des obligations (CO), qui peut toutefois durer plusieurs années et ne conduire qu'à des résultats partiels.

Une alternative souvent employée est le dépôt d'une plainte pénale, qui permet à l'administration de la faillite et aux créanciers de la faillie de se constituer parties plaignantes et d'obtenir le droit d'accéder au dossier de la procédure, en particulier aux documents que le Ministère public aura ordonné à la banque de produire (voir notre article à venir sur le sujet).

Cependant, dans les cas où une procédure de faillite est ouverte (qu'elle soit purement nationale ou soit la faillite ancillaire d'une faillite étrangère), un moyen rapide et efficace permet d'accéder à ces documents par le biais de l'obligation de renseigner de l'article 222 de la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP).

Des récents arrêts du Tribunal fédéral viennent illustrer l'obligation de renseigner de la banque et ses limites, ainsi que l'avantage de l'obligation de renseigner selon le droit de la faillite sur l'action en reddition de compte selon la procédure ordinaire.

A. Arrêt du 8 juin 2020 (5A_126/2020, ATF 146 III 435)

Dans un premier arrêt, daté du 8 juin 2020 (5A_126/2020, ATF 146 III 435), confirmant en cela une décision du 30 janvier 2020 de la Cour de justice de Genève, Autorité de surveillance des offices de poursuites et faillites (DCSO/27/20), le Tribunal fédéral a eu l'occasion de préciser sa jurisprudence sur le devoir d'une banque de renseigner l'office des faillites dans le cadre de la faillite de sa cliente.

L'affaire concernait une société dont le siège se trouvait aux Iles Caïmans qui avait entretenu avec une banque des relations d'affaires avant sa mise en liquidation en 2009. Sur requête des liquidateurs étrangers, l'ordonnance de liquidation des Iles Caïmans avait été reconnue en Suisse au titre de jugement de faillite par jugement du Tribunal de première instance de Genève en 2010, avec ouverture d'une procédure de faillite ancillaire.

Sur requête des liquidateurs étrangers, l'Office des faillites de Genève avait porté à l'inventaire de la faillite ancillaire une prétention litigieuse à l'encontre de la banque concernant six transferts litigieux ayant eu lieu peu avant la faillite de la société des Îles Caïman.

Dans ce contexte, en juin 2019, l'Office des faillites de Genève a requis de la banque la production d'un certain nombre de documents de nature interne, sous la menace des peines prévues par l'article 324 ch. 5 du Code pénal suisse (CP), dans le but de fonder une éventuelle prétention à l'encontre de la banque, notamment :

« 4. toute la documentation de due diligence (KYC) relative aux comptes de B.________ Ltd, de l'ouverture jusqu'en 2011;

5. toute correspondance externe, note de visite ou d'entretien (papier ou électronique) entre la banque, les gestionnaires des comptes et les représentants de B.________ Ltd pour la période 2006-2011 ;

6. tous documents, notes, correspondance interne et externe sous forme électronique ou papier, en relation avec les six transferts [litigieux] ».

La banque a refusé de produire cette documentation et a déposé plainte contre la décision de l'Office des faillites pour les motifs suivants :

  • Les documents purement internes n'étaient pas soumis à l'obligation de rendre compte, contrairement aux autres documents internes, susceptibles d'y être soumis pour autant qu'aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose. A cet égard, cet examen devait être réservé au juge civil, dans le cadre d'une action en reddition de compte.
  • La décision contestée, rendue sous la menace de sanctions pénales, privait la plaignante de la possibilité de refuser de collaborer sans encourir d'autres sanctions que celle prévue par l'article 164 du Code de procédure civile (CPC), soit la prise en considération d'un refus injustifié de collaborer dans le cadre de l'appréciation des preuves dans une procédure civile.

La Cour de justice de Genève a partiellement rejeté cette plainte dans sa décision du 30 janvier 2020 (DCSO/27/20), tout en précisant que les documents de nature purement interne (tels que les études préalables, les notes, les projets, le matériel rassemblé et la comptabilité), lesquels sont dénués de pertinence pour contrôler la gestion du mandataire et donc, a priori, également pour apprécier s'il a ou non engagé sa responsabilité, n'avaient pas à être produits.

La banque a recouru contre cette décision au Tribunal fédéral, qui a rejeté le recours sur la base de deux fondements qui peuvent entrer en considération dans le cadre de l'obligation de renseigner de la banque.

1. Obligation contractuelle de renseigner

En droit suisse, une banque a une obligation contractuelle de rendre compte de sa gestion à son client en tout temps, fondée sur l'article 400 CO. Le but de cette obligation est de permettre au client de contrôler l'activité de la banque.

II faut distinguer i) les documents internes qui doivent être porté sous une forme appropriée à la connaissance du mandant pour lui permettre de contrôler l'activité du mandataire, et ii) les documents purement internes qui ne sont pas pertinents pour vérifier si le mandataire a exécuté le mandat conformément au contrat et qui n'ont pas besoin d'être communiqués (par exemple les études préalables).

2. Obligation de renseigner du droit de la faillite

Dans le cadre d'une procédure de faillite, le droit suisse prévoit que les tiers contre qui le failli a des créances ont, sous menace des peines prévues par la loi, la même obligation de renseigner que le failli. S'agissant des banques, celles-ci ne peuvent pas se retrancher derrière le secret bancaire pour refuser de renseigner l'office des faillites.

S'agissant du contenu de l'obligation de renseigner, selon le Tribunal fédéral, le tiers doit transmettre à l'office des faillites tout renseignement nécessaire à établir l'inventaire de la faillite et lui remettre les documents qui permettent de faire valoir ces droits.

Le devoir du tiers de renseigner l'office des faillites comprend les informations et moyens de preuve propres à déterminer l'existence, l'étendue et, le cas échéant, le lieu de situation des biens du failli. Cela regroupe les avoirs et prétentions, même contestées, dont le failli est titulaire à l'encontre du tiers, ainsi que des documents permettant de faire valoir ces droits.

3. Lien entre le droit contractuel et le droit de la faillite

Le Tribunal fédéral a confirmé dans cet arrêt que, dans une procédure de faillite, l'obligation de renseigner a la même étendue que celle de l'article 400 CO. Par conséquent, la banque est tenue de renseigner l'office des faillites sur tout ce qui permet de contrôler son activité, y compris en lui transmettant les documents internes puisqu'une faute dans l'exécution de son mandat peut fonder une prétention à son encontre, laquelle doit figurer à l'inventaire.

En résumé, cet arrêt confirme que les renseignements qu'une banque doit donner à l'office des faillites sont les mêmes que ceux qu'elle doit donner à une cliente qui n'est pas en faillite : toutes les informations permettant de juger de la bonne exécution de son mandat et cas échéant d'agir en responsabilité contre la banque.

B. Arrêts 4A_599/2019 et 4A_287/2020 des 1er et 24 mars 2021

Deux arrêts plus récents apportent un éclairage intéressant sur les limites matérielles de la reddition de compte et les difficultés procédurales posées par une action en reddition de compte.

1. Arrêt 4A_599/2019 du 1er mars 2021

L'arrêt 4A_599/2019 du 1er mars 2021 apporte des précisions sur les limites matérielles de la reddition de compte.

Un client avait agi contre sa banque dans le cadre d'un litige relatif à un appel de marge. Le client avait pris des conclusions préalables tendant à ce que la banque soit tenue de lui remettre, sous la menace de la peine prévue par l'article 292 CP, des documents relatifs à la relation bancaire depuis son ouverture, à savoir :

  • des documents liés à l'appel de marge litigieux  afin vérifier comment la banque avait valorisé les options figurant dans son portefeuille au moment de l'appel de marge et comment ces options avaient été dénouées ; et
  • des documents portant sur la période antérieure à l'appel de marge litigieux afin de vérifier si les coûts et marges prélevés par la banque sur les produits lors des souscriptions et dénouements étaient raisonnables. Ces derniers documents n'étaient pas directement liés au litige entre les parties.

Dans son raisonnement, le Tribunal fédéral reconnaît que l'action en reddition de compte selon l'article 400 CO doit permettre de contrôler l'activité de la banque. Elle comprend toutes les informations pertinentes pour vérifier si l'activité exercée par le mandataire correspond à une bonne et fidèle exécution du mandat.

Toutefois, il rappelle que le droit à la reddition de compte trouve ses limites dans les règles de la bonne foi impliquant que l'abus manifeste d'un droit ne doit pas être protégé. L'absence de bonne foi doit être reconnue lorsque l'exercice du droit par le titulaire ne répond à aucun intérêt digne de protection, qu'il est purement chicanier ou encore qu'il tend à servir des intérêts qui ne correspondent pas à ceux que la règle est destinée à protéger.

Il en résulte que la prétention en reddition de compte ne mérite ainsi pas d'être protégée lorsque le client possède déjà les informations requises ou serait en mesure de les obtenir en consultant ses propres documents, alors que la banque ne pourrait les fournir qu'avec les plus grandes difficultés. Il en va de même lorsque le client n'a formé aucune requête durant des années, sans émettre de réserve et sans qu'aucun élément nouveau justifiant des explications n'apparaisse, par exemple lorsque pendant longtemps le client n'a jamais contesté les notes d'honoraires qui lui étaient présentées et réclame soudain, à l'occasion d'un litige, des précisions à leur sujet.

En l'espèce, l'existence d'un abus de droit a été reconnu en lien avec la demande de documents antérieurs à l'appel de marge litigieux. En effet, il s'avère que le client avait bien reçu certains des documents demandés mais il ne les avait pas conservés. De plus, il n'avait jamais contesté l'exécution des ordres qu'il donnait à la banque, ni remis en cause le prix qu'elle décomptait. Ainsi, selon le Tribunal fédéral, la simple hypothèse selon laquelle la banque aurait perçu des commissions occultes durant toute la relation contractuelle, avancée par le client une fois le litige sur l'appel de marge engagé, ne peut être considérée comme un élément nouveau propre à fonder l'intérêt légitime à contrôler l'ensemble des transactions sur plusieurs années.

S'agissant de la documentation en lien l'appel de marge, le Tribunal fédéral a également conclu que la demande était disproportionnée, chicanière ou non suffisamment motivée. Ce dernier a notamment relevé que la banque opérait comme banque dépositaire et créancière-gagiste dans le cadre d'une relation execution only, et n'était pas tenue à d'avertir le client des risques liés à sa stratégie spéculative, au regard notamment de son expérience.

2. Arrêt 4A_287/2020 du 24 mars 2021

L'arrêt 4A_287/2020 du 24 mars 2021 illustre quant à lui les difficultés procédurales posées par une action en reddition de compte.

Dans cette affaire, une société avait agi en reddition de compte contre sa banque et avait obtenu partiellement gain de cause. La banque avait en effet été condamnée à produire un certain nombre de documents qui avait été requis par la société en lien notamment avec des appels de marge litigieux. La banque ne s'était toutefois pas conformée au jugement, qu'elle n'avait exécuté que partiellement, et la société avait dû agir devant le même tribunal pour en demander son exécution.

Dans le cadre de l'action en exécution, la société demandait donc les documents qui, selon elle, n'avait pas encore été transmis par la banque, notamment : le relevé de compte final, la liste des positions détenues lors de la période litigieuse, les documents relatifs à son exposition et les valeurs des positions prises, les ratios et calculs ayant servi aux appels de marge, les retranscriptions de conversations téléphoniques et une lettre de la banque confirmant avoir rempli son obligation de renseigner de manière exhaustive.

Pour fonder son analyse, le Tribunal fédéral a commencé par rappeler que le rôle du juge de l'exécution est de préciser si le débiteur a respecté les obligations qui lui sont imposées dans le jugement à exécuter, et non en déterminer la portée dans la mesure où cela ne résulte pas clairement du jugement à exécuter.

Selon le Tribunal fédéral, si le dispositif du jugement lui-même ne contient pas le niveau de détail requis pour une exécution du jugement, la portée du dispositif doit être interprétée dans le contexte de la procédure d'exécution à la lumière des considérants du jugement. Toutefois, il ne peut s'agir d'une question d'interprétation de termes qui sont vagues. Au contraire, il doit être clair, à partir des considérants, ce qui peut être exigé de la partie obligée.

Ainsi s'il n'est pas possible de décider si la prestation fournie est suffisante, parce que les détails nécessaires à cet effet ne peuvent pas être recueillis dans les considérants de la décision à exécuter ou ne peuvent pas l'être avec suffisamment de clarté, la procédure d'exécution n'est d'aucune utilité.

En résumé, le jugement au fond en reddition de compte doit donc être suffisamment clair et précis pour pouvoir être exécuté.

Dans le cas d'espèce, cette exigence de précision et de clarté a abouti à une décision sévère pour la société qui s'est vu refuser l'accès aux documents demandés. Pour le Tribunal fédéral, certains des documents requis avaient en effet soit déjà été remis ou soit allaient au-delà de ce que prévoyait le jugement à exécuter. 

En outre, le Tribunal fédéral a souligné que, lorsque le jugement à exécuter contient des termes trop vagues, il n'est pas possible de déterminer quels documents manquent et il incombait à la société d'expliquer de manière suffisante en quoi le jugement n'avait pas encore été exécuté correctement.

L'exécution d'un jugement dans ce domaine peut donc s'avérer délicate. Le demandeur doit formuler sa demande de manière suffisamment précise pour que le jugement condamnatoire puisse ensuite être exécuté.

CONCLUSION

La difficulté d'une action en reddition de compte selon l'article 400 CO réside dans longueur de la procédure et la formulation des informations et documents demandés : même si l'étendue du devoir d'information est plutôt large en droit suisse, il faut que la demande faite à la banque décrive de manière suffisamment précise les documents auxquels on estime avoir droit.

Si la demande est formulée de manière trop vague, il y a un risque que cette demande ne puisse jamais être exécutée par un juge. Dans un tel cas, il ne restera plus que le recours à d'autres mécanismes du droit suisse comme le droit de la protection des données, le droit réglementaire dans le cas d'une banque ou le recours à une plainte pénale.

L'avantage de la demande de renseignement selon l'article 222 al. 4 LP consiste dans les éléments suivants :

  1. La rapidité de la procédure : seule la plainte selon l'article 17 LP, puis le recours au Tribunal fédéral sont disponibles au tiers pour s'opposer à la demande de renseignements, soit six à douze mois au plus.
  2. La possibilité de compléter les demandes de renseignements à la lumière des documents et informations reçus.
  3. La menace de sanctions, prévues par l'article 324 ch. 5 CP, ainsi que la possibilité de faire exécuter la décision par la force publique, garantissent une exécution que la reddition de compte selon l'article 400 CO ne permet pas d'obtenir.

Par conséquent, si le droit aux renseignements de l'office des faillites est similaire à celui du client de la banque selon l'article 400 CO, la rapidité de la décision et les moyens de son exécution sont supérieurs, de sorte que le droit de la faillite est une bonne alternative au dépôt d'une plainte pénale et est largement supérieur à une demande de reddition de compte.

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