Une régie publicitaire n'informant l'annonceur, ni du mode d'acquisition des espaces publicitaires, ni des prix proposés par les autres annonceurs crée-t-elle un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ?

Par un arrêt du 26 janvier 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue répondre par la positive à cette question.

Les faits de l'espèce étaient les suivants.

A partir de 2011, et afin de promouvoir ses sites internet de jeux, sonneries et fonds d'écran, la société Pixtel a acquis des espaces publicitaires sur le portail d'accès de Bouygues Télécom. La société TF1 Publicité, régisseur exclusif de la publicité sur ce portail, était en charge de l'achat de ces espaces.

Considérant que son régisseur lui faisait une proposition inférieure au nombre d'espaces demandés, avec une part non négligeable d'espaces non demandés, la société Pixtel a contesté les factures émises par la société TF1 Publicité et a cessé de les régler.

La société TF1 Publicité a assigné cette dernière devant le Tribunal de Commerce de Paris en paiement d'un montant de 116.649,89 euros, correspondant au prix des factures impayées et d'un montant de 5.000 euros de dommages et intérêts en réparation de la résistance abusive.

De manière reconventionnelle, la société Pixtel a demandé réparation de ses préjudices résultant du déséquilibre significatif qui lui a été imposé par la régie.

L'appréciation du déséquilibre significatif

Dans un arrêt du 19 janvier 2018, la Cour d'appel de Paris avait considéré que la société TF1 Publicité soumettait la société Pixtel à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La Cour de cassation a confirmé sur ce point l'arrêt rendu par la Cour d'appel, considérant que, de par son fonctionnement opaque, la société TF1 Publicité plaçait la société Pixtel dans une situation soit de renoncement, soit d'acceptation « forcée ».

En effet, le mode opératoire était le suivant : la société TF1 Publicité sollicitait de la société Pixtel qu'elle lui adresse la liste des espaces publicitaires souhaités sur le semestre à venir, ainsi que le prix qu'il était disposé à payer. Sur cette base, elle cherchait à obtenir les espaces demandés.

Pourtant, la société TF1 Publicité aurait adressé à la société Pixtel une proposition :

  • inférieure au nombre d'espaces publicitaires demandés (en justifiant d'une forte demande des mêmes espaces par d'autres annonceurs),
  • intégrant une part non négligeable d'espaces non souhaités et,
  • sans lui communiquer le prix proposé par les autres annonceurs en concurrence.

Selon la Cour de cassation, cette situation contraignait la société Pixtel :

  • soit à renoncer aux espaces proposés pour le semestre considéré (ce qui aurait eu un impact significatif sur son activité commerciale) ;
  • soit à accepter sans discuter les espaces proposés, sans possibilité de connaître les prix proposés par ses concurrents et obtenir, à l'avenir, les espaces souhaités.

L'appréciation du préjudice en découlant

La société Pixtel sollicitait la réparation du préjudice découlant de ce déséquilibre significatif. Elle estimait avoir subi trois préjudices :

  • une perte de marge brute issue de la différence entre les espaces demandés et ceux effectivement attribués, pour un montant de 1.491.181 euros ;
  • une perte de marge brute issue de la différence entre les espaces initialement attribués par TF1 Publicité et ceux effectivement mis à sa disposition, pour un montant de 88.288 euros ; et
  • un surcoût résultant de la surfacturation des espaces, pour un montant de 7.125 euros.

La Cour d'appel de Paris avait partiellement fait droit aux demandes de la société Pixtel et considéré :

  • qu'en soumettant la société Pixtel à un déséquilibre significatif entre les obligations respectives des parties, la société TF1 Publicité avait privé la société Pixtel de la possibilité d'obtenir un plus grand nombre d'espaces publicitaires et donc de chiffre d'affaires. La Cour avait ré-évalué ce préjudice à hauteur de 150.000 euros ;
  • qu'en couplant des espaces non sollicités et des espaces sollicités, la société TF1 Publicité avait imposé à la société Pixtel l'acquisition d'espaces non demandés. La Cour avait ainsi fait droit à la demande d'indemnisation de 7.125 euros au titre du surcoût.

La Cour avait ainsi limité la condamnation, aux motifs que la société Pixtel ne rapportait pas la preuve qu'en l'absence du déséquilibre significatif, elle aurait obtenu la totalité des espaces publicitaires souhaitée.

L'arrêt a été cassé par la Cour de cassation, laquelle a considéré, au visa de l'ancien article 1315 du code civil1, qu'il appartenait à la société TF1 Publicité de démontrer qu'il n'aurait pas pu attribuer à l'annonceur l'ensemble des espaces publicitaires demandés.

En d'autres termes, la Cour d'appel avait inversé la charge de la preuve, laquelle incombait non à la société Pixtel mais à la société TF1 Publicité.

Footnote

1. En application duquel celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait justifiant de l'extinction de son obligation.

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