Le 13 mai dernier, le Ministre responsable de la Langue française, M. Simon Jolin-Barrette, a présenté le projet de loi no96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (le « PL96 »).

Le PL96 suggère entre autres de modifier de façon importante la Charte de la langue française (la « Charte ») en y introduisant de nouvelles mesures pour assurer la prédominance du français dans les milieux de travail et en assujettissant les entreprises de 25 à 49 employés du Québec aux obligations et aux exigences prévues à la Charte en matière de francisation (certification gouvernementale attestant que l'usage du français est généralisé dans un milieu de travail).

Nous vous présentons ci-dessous un aperçu général des modifications phares proposées eu égard à la langue de travail et à la francisation des entreprises.

Les communications au personnel

Le PL96 apporte certaines clarifications quant aux types de documents qu'un employeur est tenu de fournir aux membres de son personnel en français. En effet, bien qu'un employeur soit déjà tenu de rédiger en français les communications qu'il adresse à son personnel, de même que les offres d'emploi ou de promotion, le PL96 élargit explicitement cette obligation aux éléments suivants :

  • les offres de mutation;
  • les contrats individuels de travail conclus par écrit;
  • les communications écrites, incluant celles suivant la fin du lien d'emploi, qu'un employeur adresse à son personnel, sauf si un travailleur a demandé expressément que ces communications lui soient transmises dans une autre langue que le français;
  • les formulaires de demande d'emploi;
  • les documents ayant trait aux conditions de travail;
  • les documents de formation produits à l'intention du personnel.

De plus, le PL96 prévoit que les contrats d'emploi prédéterminés (aussi appelés contrats d'adhésion) ou les contrats d'emploi dans lesquels figurent des clauses types rédigés dans une autre langue que le français n'auront un effet obligatoire entre les parties que si celles-ci ont pris connaissance de sa version française et si elles consentent expressément être liées par la version non française du contrat. Dans les autres cas, le consentement des parties suffira. Par exemple, un contrat individuel de travail dûment négocié entre les parties pourra être rédigé en anglais si les parties en conviennent expressément.

Il est également à noter que si le PL96 est adopté, tel qu'il est actuellement rédigé, les contrats individuels de travail conclus avant l'entrée en vigueur du PL96 et rédigés dans une autre langue que le français devront être traduits dans les meilleurs délais, pour autant que les travailleurs visés en fassent la demande à leur employeur dans l'année suivant l'entrée en vigueur du PL96. Les employeurs ne seront toutefois pas tenus de le faire s'il s'agit d'un contrat de travail à durée déterminée prenant fin au plus tard dans les deux ans suivant l'entrée en vigueur du PL96.

Par ailleurs, les employeurs disposeront d'un délai de 12 mois suivant l'entrée en vigueur du PL96 pour rendre accessible une version française des formulaires de demande d'emploi, des documents ayant traits aux conditions de travail ainsi que des documents de formation pour le personnel, dans la mesure où ces documents n'étaient pas disponibles en français avant l'entrée en vigueur du PL96.

Connaissance spécifique d'une autre langue que le français

Le PL 96 modifiera la Charte afin d'encadrer le droit d'un employeur d'exiger qu'un employé connaisse une autre langue que le français. En effet, l'employeur devra être en mesure de démontrer que l'accomplissement des tâches de l'employé nécessite cette connaissance et qu'il a, au préalable, pris tous les moyens raisonnables pour éviter d'imposer une telle exigence. Sur ce point, le PL96 prévoit qu'un employeur sera réputé ne pas avoir pris tous les moyens raisonnables si, avant d'exiger cette connaissance, il n'a pas rempli l'une des trois conditions suivantes :

  1. il a évalué les besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir;
  2. il s'est assuré que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour l'accomplissement des tâches de cet employé; et
  3. il a restreint le plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l'accomplissement nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une autre langue que le français.

Dans l'éventualité où un employeur n'est pas en mesure de faire cette démonstration, l'exigence de la connaissance ou d'un niveau de connaissance spécifique d'une autre langue que le français d'un employé sera assimilée à une pratique interdite en vertu de la Charte qui pourra être susceptible de réparation.

Sanctions et autres mesures de représailles interdites

Le PL96 prévoit interdire à un employeur d'imposer une sanction à un membre de son personnel ou d'exercer à son endroit des mesures de représailles, en particulier, pour l'un des motifs suivants :

  • il exige le respect d'un droit relatif à la langue de travail;
  • pour le dissuader d'exercer un droit relatif à la langue de travail;
  • il n'a pas la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une autre langue que le français alors que l'accomplissement de ses tâches ne le nécessite pas;
  • il a participé aux réunions d'un comité de francisation, ou d'un sous-comité créé par celui-ci ou parce qu'il a effectué des tâches pour eux;
  • il a, de bonne foi, communiqué à l'Office québécois de la langue française (l' « Office») un renseignement ou collaboré à une enquête à la suite d'un manquement à la Charte.

Le PL96 établit également un nouveau processus de plaintes contre les employeurs relevant de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST »). En effet, toute personne qui croit avoir été victime d'une pratique interdite pourra déposer une plainte à la CNESST dans un délai de 45 jours suivant l'évènement.

La CNESST pourra alors, avec l'accord des parties, nommer une personne qui tentera de régler la plainte. Si aucun règlement n'intervient, la plainte sera déférée au Tribunal administratif du travail. À noter que la CNESST pourra représenter un travailleur qui ne fait pas partie d'une association de travailleurs.

Milieu de travail exempt de discrimination ou de harcèlement

Le PL96 introduit explicitement le droit des salariés de travailler dans un milieu exempt de discrimination ou de harcèlement relativement à l'usage du français. De plus, les employeurs auront l'obligation de prendre les mesures raisonnables pour prévenir ce type de conduite et la faire cesser dès qu'elle sera portée à leur connaissance.

Par ailleurs, le PL96 prévoit un nouveau recours qui permettra aux salariés qui se croient victimes d'une telle conduite de déposer une plainte auprès de la CNESST dans les deux ans suivant la date de la dernière manifestation de harcèlement.

Francisation des entreprises employant 25 personnes ou plus

Le PL96 prévoit que les entreprises de 25 à 49 employés au Québec seront désormais assujetties au processus de francisation prévue sous la Charte et devront donc s'inscrire formellement auprès de l'Office.

Ces entreprises disposeront toutefois d'une période d'ajustement de trois ans suivant la sanction royale du PL96 pour se soumettre à ces nouvelles exigences. Rappelons que présentement seules les entreprises du Québec employant 50 personnes ou plus sont soumises à la Charte.

(i) Analyse de la situation linguistique

Le PL96 propose également de raccourcir le délai à l'intérieur duquel une entreprise doit transmettre à l'Office une analyse de sa situation linguistique. En effet, ce délai passera de six à trois mois suivant la date de délivrance de l'attestation d'inscription.

(ii) Comité de francisation

Le PL96 stipule que toutes les entreprises assujetties à la Charte et inscrites auprès de l'Office devront désormais instituer un comité de francisation. Cela étant dit, les entreprises qui emploient moins de 100 personnes au Québec ne seront pas tenues d'instituer un tel comité à moins que l'Office leur ordonne, et ce après avoir constaté que l'utilisation du français n'est pas généralisée à tous les niveaux de leur entreprise.

En ce sens, à l'instar du régime actuel, les entreprises de moins de 100 personnes ne sont pas automatiquement tenues de mettre en place un comité de francisation. Le PL96 élargit toutefois le pouvoir de l'Office d'ordonner sa création au sein des entreprises de 25 à 49 employés, alors qu'actuellement elle ne peut le faire qu'au sein des entreprise de 50 à 99 employés.

(iii) Réunions du comité de francisation

Le comité de francisation devra continuer de se réunir au moins une fois tous les six mois. Le PL96 ajoute toutefois que le comité devra dorénavant veiller à la rédaction d'un procès-verbal pour chacune de ses réunions qui devra ensuite être transmis à la direction de l'entreprise ainsi qu'à l'Office.

(iv) Publication de la liste des membres du comité de francisation

En plus de fournir une liste des membres du comité de francisation à l'Office, le PL96 prévoit que cette liste devra désormais être diffusée auprès du personnel de l'entreprise par affichage ou par tout autre moyen jugé approprié par l'entreprise.

(v) Obligations du comité de francisation

Le PL96 précise également le rôle et les responsabilités du comité de francisation en dressant une liste des différentes obligations qu'il doit rencontrer.

Ces obligations comprennent notamment le fait de :

  • désigner un représentant auprès de l'Office;
  • voir à la réalisation de l'analyse de la situation linguistique, y compris la rédaction du rapport qui en fait état;
  • voir à l'élaboration du programme de francisation que l'entreprise doit adopter, en surveiller la mise en Suvre et, s'il y a lieu, voir à l'élaboration du rapport à ce sujet;
  • veiller à ce que l'utilisation du français demeure généralisée au sein de l'entreprise et voir à la rédaction du rapport triennal; et
  • à la demande de la direction de l'entreprise, donner son avis sur la pratique de l'employeur d'exiger la connaissance ou le niveau de connaissance spécifique d'une autre langue que le français d'une personne pour rester en poste ou y accéder et sur les moyens pris pour éviter d'imposer une telle exigence.

(vi) L'élaboration d'un programme de francisation

Le PL96 propose de raccourcir le délai à l'intérieur duquel une entreprise doit transmettre à l'Office un programme de francisation. En effet, sous le régime actuel, lorsque l'Office détermine que l'utilisation du français n'est pas généralisée au sein d'une entreprise, l'Office lui envoie un avis pour qu'elle adopte un programme de francisation. Avec le PL96, ce délai pour compléter et transmettre le programme de francisation à l'Office passera de six à trois mois suivant la réception de l'avis.

Par ailleurs, sous le régime actuel, une entreprise qui a dû adopter un programme de francisation au sein de son entreprise doit remettre à l'Office des rapports sur la mise en Suvre de son programme tous les 24 mois, dans les cas où l'entreprise emploie moins de 100 personnes, et tous les 12 mois si elle emploie 100 personnes ou plus. Le PL96 vient uniformiser la fréquence de transmission de ces rapports au 12 mois, et ce, sans égard au nombre d'employés qui travaillent au sein de l'entreprise.

Finalement, le PL96 prévoit également que l'entreprise devra désormais diffuser auprès de son personnel son programme de francisation ainsi que les rapports sur sa mise en Suvre.

(vii) Permanence de la francisation

Sous le régime actuel, lorsqu'une entreprise est titulaire d'un certificat de francisation, elle doit remettre à l'Office tous les trois ans un rapport concernant l'évolution de l'utilisation du français au sein de l'entreprise.

À cet égard, le PL96 prévoit que si l'Office estime, après examen du rapport triennal, que l'utilisation du français n'est plus généralisée à tous les niveaux au sein de l'entreprise, elle pourra lui ordonner d'élaborer et de mettre en Suvre un plan d'action pour remédier à la situation. L'Office devra, au préalable, notifier l'entreprise par écrit et lui accorder un délai d'au moins 15 jours pour présenter ses observations. L'entreprise disposera de deux mois pour soumettre son plan d'action à l'Office.

(viii) Liste des entreprises non conformes

Avec le PL96, l'Office publiera et tiendra désormais à jour la liste des entreprises pour lesquels il a refusé de délivrer une attestation d'inscription ou dont il a suspendu ou annulé une attestation d'inscription ou un certificat de francisation.

Et les entreprises fédérales ?

En 2018, le gouvernement du Canada a résumé l'application de la Charte dans un document intitulé La langue de travail dans les entreprises privées de compétence fédérale au Québec non assujetties à la Loi sur les langues officielles en ces termes :

Au Québec, il existe deux régimes distincts, pour la langue de travail, qui s'appliquent à différentes catégories d'entreprises et de travailleurs : la Loi sur les langues officielles (LLO), laquelle vise toutes les « institutions fédérales », (c.-à-d. les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada) et la Charte de la langue française du Québec (Charte québécoise), qui s'applique à tous les milieux de travail de compétence provinciale. Environ 135 000 employés, dans quelque 1 760 entreprises privées de compétence fédérale au Québec, ne sont actuellement visés ni par la LLO ni par la Charte québécoise.

Cela étant dit, le gouvernement du Québec a indiqué qu'il avait l'intention d'appliquer le PL96 aux entreprises privées de compétence fédérale, bien qu'il n'y ait pas de disposition expresse à cet effet.

En parallèle, la ministre des Langues officielles, Mme Mélanie Joly, a récemment indiqué qu'elle déposerait un projet de loi visant à réformer la Loi sur les langues officielles d'ici la fin de l'année 2021.

Le déclaration de Mme Joly fait suite au dévoilement par le gouvernement fédéral de son intention de réformer le statut des deux langues officielles du Canada dans un document intitulé Français et anglais : Vers une égalité réelle des langues officielles au Canada, publié le 19 février 2021. À l'instar du PL96, le gouvernement fédéral propose d'accorder de nouveaux droits en matière de langue de travail dans les entreprises privées sous réglementation fédérale situées au Québec ou dans d'autres régions du pays à forte présence francophone. En particulier, il propose de :

  • permettre aux travailleurs le droit d'exercer leurs activités en français;
  • obliger les employeurs à communiquer avec leurs travailleurs en français; et
  • interdire la discrimination à l'égard d'un travailleur pour la seule raison qu'il ne parle que le français ou qu'il ne connaît pas assez une autre langue que le français.

Conclusion

Bien qu'on ne sache pas exactement quand les dispositions du PL96 entreront en vigueur, il semble évident que l'adoption des dispositions proposées aux termes du PL96 entraînera un fardeau plus lourd pour les entreprises exerçant des activités au Québec, notamment pour celles ayant 25 à 49 employées qui se verront désormais assujetties aux obligations et aux exigences prévues à la Charte en matière de francisation.

Il sera également intéressant de suivre au cours des prochains mois l'évolution de la réforme de la Loi sur les langues officielles par le gouvernement fédéral et des répercussions que celle-ci pourrait avoir sur la langue de travail au sein des entreprises privées de juridiction fédérale exerçant leurs activités au Québec ou dans d'autres régions du pays à forte présence francophone.

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