Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit de procédure pénale, droit pénal économique, droit international privé, droit de la poursuite et de la faillite, ainsi que le droit de l'entraide internationale.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 6B_944/2023 du 21 mars 2024 | Absence de partialité des autorités saisies successivement à de multiples reprises (art. 30 al. 1 Cst., art. 6 par. 1 CEDH)

  • Par jugement du 30 novembre 2018, A. (« Recourant ») a été condamné par le Bezirkgericht de Brugg à une amende de CHF 400.- pour violation par négligence des règles de la circulation routière (art. 90 al. 1 en relation avec l'art. 31 al. 1 et l'art. 100 ch. 1 al. 1 LCR). Le 9 septembre 2019, l'Obergericht d'Argovie a rejeté l'appel formé par le Recourant. Par arrêt du 17 juin 2020, le Tribunal fédéral a admis le recours qui concluait à l'annulation de la décision de l'instance précédente et à l'acquittement du Recourant et a ainsi renvoyé l'affaire au Bezirkgericht de Brugg pour nouvelle décision.
  • Par jugement du 16 octobre 2020, le Bezirkgericht de Brugg a, à nouveau, condamné le Recourant à une amende de CHF 400.-. Le 4 novembre 2021, l'Obergericht d'Argovie a constaté la violation du principe de célérité. Par arrêt du 15 février 2023, le Tribunal fédéral a admis le recours et renvoyé l'affaire à l'Obergericht pour nouvelle décision.
  • Par jugement du 14 juin 2023, l'Obergericht a, à nouveau, constaté la violation du principe de célérité, mais a maintenu la condamnation du Recourant à une amende de CHF 400.-. Le Recourant a ainsi une nouvelle fois interjeté recours au Tribunal fédéral afin que le jugement de première instance soit entièrement annulé et qu'il soit acquitté des charges retenues contre lui.
  • Le Recourant s'est notamment prévalu d'une violation de son droit à un tribunal indépendant et impartial selon l'art. 30 Cst. et l'art. 6 par. 1 CEDH en raison de la multiplication des saisines des mêmes instances inférieures dans cette procédure (consid. 3.1).
  • Le droit à un tribunal indépendant et impartial se concrétise notamment par les dispositions relatives à la récusation (art. 56 CPP). A cet égard, le Tribunal fédéral a précisé que si la personne concernée par la demande de récusation est saisie plusieurs fois de la même affaire dans la même position, il n'y a pas de « Vorbefassung » au sens de l'art. 56 let. b CPP, mais une « Mehrfachbefassung ». Cette circonstance peut toutefois revêtir de l'importance sous l'angle de l'art. 56 let. f CPP lorsqu'il faut s'attendre à ce que le membre de l'autorité pénale concernée se soit déjà déterminé sur certaines questions dans une mesure telle que la procédure n'apparaisse plus comme ouverte à un stade ultérieur(consid. 3.2.1).
  • L'admissibilité de ce genre de cas est à déterminer au cas par cas, en prenant en compte les fonctions procédurales dans lesquelles le membre de l'autorité pénale était impliqué dans l'affaire, les questions qu'il devait trancher et le lien entre celles-ci et les questions auxquelles il faut actuellement répondre, ainsi que l'étendue de son pouvoir de décision ; l'importance de chaque décision pour la suite de la procédure peut également être prise en compte dans l'appréciation (consid. 3.2.1).
  • Le droit à un tribunal indépendant et impartial ne comprend pas la garantie d'absence absolue d'erreur de la part des juges. Les erreurs de droit procédural doivent être soulevées dans la procédure de recours et ne peuvent en principe pas être invoquées pour justifier une violation de ce droit. Ce n'est qu'exceptionnellement que des erreurs de procédure peuvent remettre en question l'impartialité d'un magistrat. Dans ce cas, il doit exister des raisons objectives de penser que les erreurs de droit découlent d'une attitude fondée sur un manque de distance et de neutralité. Si le motif de récusation est déduit d'erreurs de droit matériel ou procédural, celles-ci ne sont essentielles que si elles sont particulièrement flagrantes ou répétées, de sorte qu'elles équivalent à une grave violation des devoirs de fonction et qu'elles se répercutent unilatéralement au détriment d'une des parties au procès (consid. 3.2.2).
  • In casu, le Tribunal fédéral a considéré que le Recourant n'était pas parvenu à exposer que les erreurs de droit matériel ou procédural étaient à ce point flagrantes ou répétées qu'elles équivaudraient à une violation grave des devoirs de fonction et se répercuteraient unilatéralement au détriment d'une des parties au procès, de sorte qu'il faudrait conclure à une violation du droit à un tribunal indépendant et impartial. Notre Haute Cour a également ajouté que la violation du droit d'être entendu présentait certes une certaine gravité, mais elle ne permettait pas à elle seule de déduire une attitude de l'instance inférieure fondée sur un manque de distance et de neutralité. Le Tribunal fédéral a ainsi conclu qu'il n'y avait pas de pluralité de saisines inadmissible qui violerait le droit du Recourant à un tribunal indépendant et impartial (consid. 3.3).
  • Partant, le recours a été rejeté.

TF 7B_237/2022 du 22 février 2024 | Imputation de la connaissance des faits du curateur de la personne défunte aux héritiers – impact sur le droit et le délai pour porter plainte (art. 30 et 31 CP)

  • Par jugement du 24 février 2021, le Kriminalgericht de Lucerne a condamné A. (« Recourant ») à une peine privative de liberté avec sursis pour de multiples abus de confiance perpétrés au préjudice de C., sa défunte mère, qui de son vivant était sous curatelle pour incapacité de discernement. La plainte à l'origine de cette procédure avait été déposée le 25 janvier 2011 par B., le frère du Recourant. A l'époque déjà, le Recourant avait soutenu que le curateur de C. avait renoncé en 2009 à déposer une plainte à son encontre laissant ainsi passer le délai légal de 3 mois pour agir et que ce délai ne pouvait être restitué à son frère ultérieurement (consid. 3.1).
  • Le Tribunal fédéral a d'abord rappelé que l'abus de confiance au détriment d'un parent ou d'un proche n'est poursuivi que sur plainte (art. 138 ch. 1 al. 4 CP).
  • Selon l'art. 30 al. 2 CP, si le lésé est privé de l'exercice des droits civils, son représentant légal est habilité à déposer plainte, alors que si elle se trouve sous curatelle, ce droit appartient également à l'autorité de protection de l'enfant et de l'adulte, celle-ci et le curateur disposant chacun d'un droit de dépôt de plainte indépendant.
  • Si le lésé meurt sans avoir porté plainte, ni avoir expressément renoncé à porter plainte, son droit passe à chacun de ses proches (art. 30 al. 4 CP).
  • Si l'ayant-droit a expressément renoncé à porter plainte, sa renonciation est définitive. Le droit de porter plainte s'éteint à l'expiration d'un délai de 3 mois dès la connaissance certaine de l'auteur et de l'acte répréhensible (art. 31 CP) (consid. 3.3.3 à 3.3.5).
  • In casu, notre Haute Cour a estimé qu'il incombait au représentant légal de C., incapable de discernement et directement lésée, d'agir en son nom et de déposer une plainte pénale en temps utile (art. 30 al. 2 cum art. 31 CP et art. 106 al. 2 CPP). En raison de son incapacité de discernement, elle ne pouvait elle-même agir, c'est-à-dire ni prendre connaissance de l'acte et de l'auteur, ni déposer une plainte pénale, ni y renoncer (art. 30 al. 3 CP a contrario). Etant donné que les héritiers ne disposent pas d'un droit autonome de déposer une plainte pénale, mais qu'ils font valoir ce droit en lieu et place de la défunte, ils doivent, le cas échéant, se laisser imputer le délai qui a commencé à courir du fait de la connaissance par le curateur des éléments nécessaires à une plainte pénale, ou encore une éventuelle expiration du délai de plainte de 3 mois que le curateur de C. a provoquée durant son activité (consid. 3.5).
  • Le Tribunal fédéral s'est par conséquent penché sur la question de la connaissance du curateur, respectivement de l'autorité de protection de l'enfant et de l'adulte, des actes punissables du Recourant et si leur connaissance était suffisante pour déposer une plainte pénale au nom de C. L'instance précédente n'a pas abordé la question de la possibilité d'une plainte pénale par le curateur ou l'autorité de protection de l'enfant et de l'adulte, mais a examiné directement le droit de plainte de la partie plaignante en tant qu'héritier sur la base de l'art. 30 al. 4 CP, à tort. En effet, le Tribunal fédéral a considéré qu'elle aurait dû commencer par examiner si le curateur, en tant que représentant légal, ou l'autorité de protection de l'enfant et de l'adulte, avait eu suffisamment connaissance de l'acte et de l'auteur de l'infraction pendant le mandat de curatelle pour déclencher le délai pour le dépôt d'une plainte pénale et si ces derniers avaient sciemment laissé passer ce délai. Ce n'est qu'à la suite de cette analyse que l'instance inférieure aurait pu déterminer si l'inaction du curateur ou de l'autorité de protection de l'enfant et de l'adulte était opposable à B., héritier de C., afin de d'établir si celui-ci détenait encore la prérogative de déposer plainte pénale à l'encontre du Recourant (consid. 3.5).
  • Partant, le recours a été partiellement admis et l'affaire renvoyée à l'instance précédente pour nouvelle décision.

TF 7B_50/2024 du 21 mars 2024 | Absence de conséquences sur la qualité de partie plaignante de la société du non-respect de la réglementation interne portant sur sa représentation (art. 718a CO)

  • Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a rappelé sa jurisprudence relative à la constitution de partie plaignante d'une société au travers des personnes la représentant.
  • Les personnes habilitées à représenter une société peuvent accomplir au nom de celle-ci tous les actes juridiques que le but de la société peut impliquer (art. 718a CO). Une limitation à l'interne de la société de ce pouvoir de représentation n'a aucun effet à l'égard des tiers de bonne foi, à l'exception des dispositions inscrites au registre du commerce concernant la représentation exclusive de l'établissement principal ou d'une succursale ou la représentation commune de la société. Par actes juridiques que le but de la société peut impliquer, il ne faut pas seulement entendre ceux qui sont utiles à la société ou qui se produisent habituellement dans son exploitation ; sont également visés les actes inhabituels, pour autant qu'ils soient fondés, même éventuellement, sur le but de la société, c'est-à-dire qu'ils ne soient pas exclus par celui-ci. Ce n'est que dans des cas extrêmes que les actes de représentation doivent être considérés comme non contraignants et non valables dès le départ pour la société en raison de leur caractère contraire au but et donc du dépassement du pouvoir de représentation. L'étendue du pouvoir de représentation du conseil d'administration dans les relations extérieures englobe donc tous les actes juridiques qui ne sont pas exclus du but de la société tel qu'il est objectivement compris (consid. 3.1).
  • In casu, E., représentant de la société A. SA, a interjeté appel contre la décision de classement de la procédure ouverte contre B., CEO de A. SA, accusé de gestion déloyale.
  • B., a soutenu que E. ne pouvait pas représenter les intérêts de la société A. SA, partie plaignante, au motif que J. et K., inscrits au registre du commerce comme respectivement membre et président du conseil d'administration de A. SA et signataires de la lettre de constitution de partie, n'auraient pas eu le pouvoir de l'autoriser à agir en représentation de ladite société. En effet, lors de la séance du conseil d'administration de A. SA du 21 mars 2022, l'ouverture d'une procédure pénale contre lui pour gestion déloyale n'auraient pas obtenu l'unanimité requise par le règlement interne d'organisation, si bien que J. et K. n'auraient pas dû signer ladite lettre de constitution. Dès lors, E. ne pouvait pas avoir la qualité pour recourir contre l'ordonnance de classement rendue à l'égard de B. (consid. 2).
  • Or, le Tribunal fédéral a relevé que selon l'inscription de la Recourante au registre du commerce au moment de sa constitution en tant que partie plaignante, soit le 30 janvier 2023, les deux signataires de la lettre de constitution, J et K, étaient autorisés à signer collectivement à deux chacun. Ainsi, comme l'a indiqué le Tribunal fédéral, les actes des personnes habilitées à représenter la société selon l'inscription au registre du commerce sont imputables à la société, et ce indépendamment du fait que les organes correspondants aient respecté les directives internes de la société en matière de compétences et d'action. Notre Haute Cour a néanmoins laissé ouverte la question de savoir si les limitations internes du pouvoir de représentation pouvaient être opposées aux autorités pénales lorsque celles-ci en avaient connaissance. Le fait que A. SA n'ait pas contesté les allégations de B. quant à la validité de sa représentation lors de la procédure devant l'instance inférieure n'y change rien (consid. 3.2).
  • Partant, le recours a été admis et l'affaire renvoyée à l'instance inférieure.

TF 7B_52/2024 du 4 mars 2024| Rappel de jurisprudence, modalités de paiement de l'avance de frais (art. 62 al. 1 LTF)

  • Le Tribunal fédéral a rappelé les modalités de versement de l'avance de frais (art. 62 al. 1 LTF). Le montant doit être payé en espèces ou remis en faveur de la Caisse du Tribunal fédéral soit à un guichet de la Poste suisse, soit - en cas d'ordre de paiement à la Poste ou à une banque - sur un compte postal ou bancaire situé en Suisse. En cas d'ordre de paiement, la Caisse du Tribunal fédéral doit recevoir dans les dix jours une confirmation que le montant a été débité dans les délais sur le compte postal ou bancaire de la partie recourante ou de son représentant (consid. 3).
  • In casu, par décision du 18 janvier 2024, le Recourant s'est vu fixer, par acte judiciaire, un délai jusqu'au 2 février 2024 pour verser au Tribunal fédéral une avance de frais de CHF 800.-. Le Recourant a remis au Tribunal fédéral, le 25 janvier 2024, un document qu'il a lui-même rédigé et qu'il a qualifié de billet à ordre. Par décision du 9 février 2024, le Recourant s'est vu fixer un délai supplémentaire prescrit par la loi et non extensible pour le versement de l'avance de frais jusqu'au 22 février 2024. Le Recourant n'ayant pas fourni l'avance de frais dans le délai imparti et le billet à ordre ne répondant pas aux moyens possibles pour procéder à une avance de frais, le Tribunal fédéral n'est pas entré en matière sur le recours (consid. 3).

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

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III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

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IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

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V. ENTRAIDE INTERNATIONALE

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